jeudi 8 mars 2012

"L'imaginaire gouverne le monde" (Napoléon Bonaparte).

Une citation de l'Empereur en personne pour introduire notre lecture du jour. Et il est tout à fait légitime dans ce rôle puisqu'il est partie prenante du livre. Avec une question que je me pose : lui qui plaçait l'imagination au sommet de l'échelle des valeurs, si l'on en croit cette citation, aurait-il pu imaginer que son règne servirait de cadre à un roman de fantasy ? Pas si sûr... Et pourtant, voilà l'Empire devenu le cadre d'une série de fantasy historique signée par un auteure américaine, à la fois passionnée par ce genre littéraire et par l'histoire, en particulier la période napoléonienne. Et Naomi Novik a donc relever le gant de nous emmener au début du XIXème siècle dans une Europe où s'ébattent... des dragons... Ca s'appelle "Téméraire", une série dont le 6ème volume sort à la mi-mars au Pré aux Clercs. Mais, une série a un début, nous commencerons dont logiquement par le premier volume de cette série, sous-titré "les Dragons de sa Majesté" (en poche, chez Pocket).


Couverture Téméraire, tome 1 : Les dragons de sa majesté


Fin 1804. Le Reliant, navire de la marine britannique croise dans l'océan Atlantique quand il repère une frégate française. Aussitôt, le capitaine, Will Laurence, donne l'ordre d'aborder l'Amitié afin d'en prendre le contrôle. Aussitôt dit, aussitôt fait. Après une brève résistance, l'équipage français se rend. Il faut dire que la frégate a connu de nombreux incidents et fortunes de mer et qu'elle a mis bien plus longtemps que prévu pour arriver à bon port. Résultat, c'est un équipage épuisé et affaibli par la faim que les marins anglais ont intercepté.

Apparemment, le bateau français ne transporte pas grand chose, jusqu'à ce qu'un des marins du Reliant découvre ce qui va constituer un prise magnifique : un oeuf. Oh, pas n'importe quel oeuf ! A sa taille et à la couleur et la texture de la coquille, pas de doute, il s'agit d'un oeuf de dragon... Et, comme la frégate française a traîné en route, cet oeuf est sur le point d'éclore alors que la terre ferme est encore loin.

Voilà nos marins britanniques bien embêtés. Il faut dire que, si cet oeuf a de quoi émerveillé le plus endurci des loups de mer, il va forcément poser un gros problème : lorsqu'un dragon sort de sa coquille, il doit être harnaché et celui qui lui passe le harnais devient son capitaine, celui qui le pilotera jusqu'à ce que mort les sépare. Cela signifie que le membre de l'équipage qui accomplira ce geste, au combien symbolique, devra quitter la Navy pour entrer, avec sa monture, dans les Aerial Corps, le régiment dédié aux dragons.

Or, si la Navy est synonyme de prestige, les Aerial Corps ont une très mauvaise réputation. Les intégrer serait déchoir, même pour un des officiers subalternes du Reliant. A l'heure où la coquille de l'oeuf commence à se fissurer, il n'y a aucun volontaire pour harnacher le dragon naissant. Laurence va donc imposer à ses hommes un tirage au sort, pour désigner "l'heureux élu"... Sauf que rien ne se passe comme prévu et Laurence, dans un réflexe dicté par le devoir, en quelque sorte, va être celui qui va passer le harnais à l'animal et donc, se '"l'approprier"...

Will Laurence est issu d'une noble famille anglaise, une haute aristocratie. Il est le troisième enfant de sa fratrie et, au lieu d'entrer dans les ordres, comme le voulait, l'exigeait, son père, il a fui la maison pour s'engager en douce dans la marine alors qu'il n'était encore qu'un gamin. Cette carrière, il la voulait plus que tout et la voilà remise en cause par ce qui constituera sans doute la plus belle prise de sa carrière... Drôle de paradoxe...

Laurence n'a pas songé à tout cela lorsqu'il a saisi le harnais, mais, une fois l'animal capturé, il prend conscience de la portée de son geste et de tout ce que cela va remettre en cause dans sa vie : ses relations avec ses parents, en particulier son père, qui verra ça comme un affront, ses relations sociales qui vont le considérer au mieux avec ironie, au pire avec mépris, sa promise, qui considérera son parti, déjà moins bien en vue que ses aînés, sans valeur, ses anciens collègues marins, etc.

Et pourtant, en quelques instants, tout cela va être balayé, devenir sans importance pour Laurence. Car, entre le dragon et lui, une inexplicable alchimie va se produire, unissant le destin de ces deux êtres inextricablement. Le jeune dragon a aussitôt pris en affection son maître, se mettant inconditionnellement à son service, tandis que Laurence va découvrir un être fascinant dont il a envie de s'occuper, malgré tout, malgré les convenances, malgré les réputations...

Le voilà donc qui quitte la Navy pour devenir le capitaine de celui qu'il a baptisé "Téméraire". Un dragon exceptionnel, d'un noir profond, à la taille un peu plus imposante chaque jour, à l'appétit aussi insatiable que la curiosité, à l'instinct, pourquoi ne pas dire l'intelligence, d'ailleurs, aiguisée, à l'élégance et à la vivacité hors du commun, aux aptitudes en tous points remarquables.

Et pour cause : Téméraire appartient à une race extrêmement rare, une race originaire de Chine, de celle qu'on réserve uniquement à l'Empereur de Chine. La prise de Laurence est exceptionnelle à plus d'un titre et elle tombe à pic pour une armée anglaise en ordre de bataille. Car les rumeurs sont insistantes : Napoléon préparerait une invasion de l'Angleterre. Toutes les manoeuvres navales à travers l'Europe, dans la Manche, bien sûr, mais aussi en Méditerranée ou dans l'Atlantique, ne seraient en fait que des diversions pour dégarnir l'objectif principal.

Le temps presse donc et Téméraire, tout comme Laurence, d'ailleurs, doit au plus vite faire leur apprentissage au sein des Aerial Corps afin de pouvoir recevoir leur baptême du feu et prendre part au conflit inévitable qui s'annonce. Un apprentissage qui doit faire du jeune dragon une des pièces maîtresses du dispositif aérien de l'armée britannique.

Mais rien n'est gagné d'avance. Si Téméraire semble très doué pour les manoeuvres (car les dragons vont au combat en formation), c'est aussi un animal plus sensible que la norme. Sa naissance en mer, loin du cadre habituel des couveuses officielles, en a fait un dragon indépendant, de corps et d'esprit. Pas rétif à l'autorité, non, mais plein d'un certain anticonformisme. Ce qui va encore le rapprocher de Laurence, qui découvre pour sa part un tout nouvel univers auquel il a un peu de mal à se faire. Son apprentissage d'officier de marine n'est pas vraiment celui en cours dans son nouveau régiment et, malgré les similitudes entre l'équipage d'un navire et celui d'un dragon, le fonctionnement n'est pas tout à fait le même.

Le couple détonne au milieu des vieux de la vieille et il va leur falloir se faire accepter. Les aptitudes évidentes de Téméraire ainsi que l'autorité naturelle et les visions empreintes de respect de Laurence vont, peu à peu et pour la majeure partie des membre du corps, faire l'unanimité.

Voilà pour ce premier tome de la série "Téméraire". Certains jugeront peut-être son rythme un peu lent. mais cela vient probablement du fait que c'est justement un premier tome : il y a beaucoup à installer, tant dans le contexte historique que dans le cadre militaire et stratégique. Et puis, forcément, il y a la jeunesse du dragon, car il lui faut bien grandir, mûrir, apprendre, avant de se lancer dans le feu de l'action.

Pour autant, tout se tient bien. Novik adapte parfaitement ses éléments de fantasy, en l'occurrence les dragons, aux faits historiques. Au passage, si elle les respecte, elle se permet habilement un "flirt" avec l'uchronie, dans une scène mémorable d'invasion. Voilà qui promet.

Mais, dans ce premier tome, ce qui est le plus remarquable, c'est le travail sur les dragons eux-mêmes. Non seulement Novik nous décrit à merveille les différentes et nombreuses races de dragons présentes dans les différents corps d'armée, que ce soit physiquement ou dans leur harnachement et leur équipage. Un dragon, c'est une vraie forteresse volante, comme on nommera bien plus tard d'autres appareils ; un équipage capable de voler, évidemment, mais aussi de bombarder les lignes adverses, de transporter des troupes, des armements, des bagages, des messages, de combattre en plein ciel, etc.

Et là encore, Naomi Novik nous donne à voir : on a l'impression de participer aux scènes d'entraînement et de simulation d'abord, puis aux scènes de bataille. Et je comprends mieux ce qui a poussé un Peter Jackson à acquérir les droits de la série pour un possible projet télévisuel. Car cela peut donner un résultat extrêmement spectaculaire...

Enfin, la relation entre Laurence et Téméraire ne se résume pas à une simple amitié mais à un enrichissement réciproque. Laurence éduque Téméraire, l'initie à la culture (il lui fait la lecture, chaque soir ou presque), l'entretient, tandis que Téméraire offre des angles de vue nouveaux à son capitaine, aussi bien sur la vie que sur la relation à la vie en général, aux autres, à ses nouveaux collègues, à la hiérarchie...

Bref, ce tandem peut voyager loin. Et on s'attache à ce couple si étrange, si dissemblable et pourtant uni. Un duo qui déteint aussi sur les autres, dragons d'abord, capitaines ensuite, ce qui devrait considérablement améliorer les rapports au sein des Aerial Corps et renforcer la solidarité indispensable lorsqu'on se retrouve sur le champ de bataille.

Mais, cette relation "fusionnelle" peut aussi être le talon d'Achille de Laurence et Téméraire, proches au point de se privilégier l'un l'autre, aux détriments de reste de l'escadrille.

En tout cas, ce premier volet installe parfaitement les deux héros et lance un série que j'ai bien envie de continuer. D'autant que le deuxième tome nous emmène en Chine, terre d'origine de Téméraire. Des origines loin d'être anodines et que l'on commence à découvrir plus en détails dans la dernière partie du premier roman. Et l'on comprend alors l'importance phénoménale que représente la prise de la frégate l'Amitié et le rattachement de Téméraire à l'armée britannique.

Vous l'aurez compris, moi qui ne suis pas un fan de fantasy, en tout cas de la fantay pure et dure, j'ai apprécié cette lecture et son contexte de fantasy historique. J'ai envie de m'installer sur le dos de Téméraire, bien sanglé dans un baudrier et de poursuivre l'aventure aux côtés de Laurence.

To be continued...

2 commentaires:

  1. Je crois bien que je vais me laisser tenter par ce Téméraire.
    Ça m'a l'air plus profond que ne le laisse supposer la 4e de couverture.

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  2. Je dois justement lire ce livre pour un challenge et ton article a fini de me convaincre, cependant, j'ai peur de tomber dans le déjà lu car Eragon est passé juste avant ... Je verrais bien en le lisant et espère ne pas être déçue!

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