dimanche 10 février 2013

"Mais l'homme qui revient après avoir franchi la Porte dans le Mur ne sera jamais tout à fait le même que l'homme qui y était entré" (Aldous Huxley).

Oui, je reconnais que cette entrée en matière pourra sembler absconse à ceux qui n'ont pas encore lu le livre du jour, mais je pense que les fidèles de l'auteur de ce roman auront compris le clin d'oeil. Rassurez-vous, ne vous triturez pas les méninges, le sens de ce titre va vous apparaître dans le courant de ce billet, un peu de patience, laissez-moi planter le décor... Nous voilà prêts à évoquer un roman auto-édité, ce n'est pas si courant sur ce blog, "l'Evangile selon Jacques Lucas", de Cyrille Audebert, paru aux éditions Sindbadboy. Un polar plein d'humour et de stupre (j'aime bien ce mot, même si, au Scrabble, "sexe" et "luxure" feraient plus de points...) dans lequel la frontière entre les gentils et les méchants est bien brouillée et la vraie nature des personnages n'apparaît que sur le tard.


Couverture L'évangile selon Jacques Lucas


David Huxley est peintre. Essentiellement des nus, en recourant à de ravissants modèles, ce qui ne gâche rien. Grâce au père de son meilleur ami, Fritch, qui lui achète la totalité de ses toiles et les expose dans sa galerie, Huxley vit de son art sans avoir à se préoccuper de basses contingences matérielles qui pourraient parasiter son inspiration. Et comme la très belle Mélodie, une de ses modèles devenue sa maîtresse, vient de choisir de venir vivre avec lui, tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes (tiens, ça me rappelle quelque chose...) pour David Huxley...

Jusqu'à ce matin estival, caniculaire, même, sur la Bretagne. Huxley est sorti de chez lui de bonne heure pour se rendre ) un rendez-vous avec Fritch. Mais, lorsqu'il revient, devant son petit immeuble, il découvre des véhicules de police, gyrophares allumés... La panique le prend, car, dans la région, sévi actuellement un tueur en série, surnommé "l'Ombre", qui a déjà fait près d'une dizaine de victimes, essentiellement des SDF d'origine maghrébine...

Mais... Et si "l'Ombre" avait changé de modus operandi ? Et si "l'Ombre" s'en était pris à Mélodie, en l'absence de Huxley ? Jamais il ne se le pardonnerait, si c'était le cas... Sous le choc, il entre dans une rage folle au cours de laquelle son pied va malencontreusement entrer en contact avec une partie extrêmement sensible de l'anatomie du flic qui lui barre le passage. Mais, suit aussitôt, dès qu'il entre dans son appartement, une espèce d'hébétude dont il va avoir du mal à sortir...

Victime, il y a bien. Mais ce n'est pas Mélodie. En fait, c'est dans les combles de l'immeuble qu'un cadavre a été retrouvé. Et tout semble indiquer qu'il s'agit d'une nouvelle victime de "l'Ombre". Alors, pour mener l'enquête, la police fait appel à un de ses plus fins limiers, un flic qui a pas mal bourlingué, qui vient de rentrer depuis peu des Etats-Unis, où il a étudié de près ceux qu'on appelle (prononcer à la façon de les Nuls dans "la Cité de la Peur", effets sonores compris) les serial killers...

Et l'instinct de Ballard, qui ne le trompe jamais, forcément, lui dit que l'assassin vit dans l'immeuble, et que ça ne peut être que... David Huxley. D'emblée, Ballard se montre soupçonneux à l'encontre du peintre et semble le considérer avec une certaine animosité qui n'est pas sans surprendre Huxley lui-même, Mélodie et leur voisine, la sculpturale et impudique Margot Baudor, fliquette au corps de rêve et, accessoirement, amoureuse transie de David, qu'elle se désespère de voir un jour partager ses sentiments (et plus, si affinités...).

Seulement, Huxley lui-même commence à douter. D'abord, ce meurtre, ce cadavre retrouvé justement dans son immeuble, cela le renvoie à un passé que le peintre voudrait laisser derrière lui définitivement. D'autres évènements dramatiques qui avait fait vaciller sa santé mentale et à la suite desquels, il a choisi de couper les ponts avec son milliardaire de père... Ensuite, parce que ces évènements refoulés ont d'évidents points communs avec les victimes de "l'Ombre. Enfin, parce que David ne se souvient pas vraiment de ce qu'il a pu faire la nuit où le corps a dû être transporté dans les combles et, qu'avec ses absences, il ne peut jurer de rien. Ajoutons que personne ne semble être entré ou sorti de l'immeuble au cours de la nuit fatidique.

Et si ses vieux démons avaient resurgi ? Et si lui, David Huxley, était... "l'Ombre" ? Ballard a l'air d'en être persuadé et cornaque son enquête dans le seul but de le faire condamner... S'il se met à douter de lui-même, malgré le soutien de Mélodie et Margot, alors, il pourrait perdre cette nouvelle vie qu'il a su se construire et dans laquelle il s'épanouit.

Alors, à lui de prendre le taureau par les cornes : il doit agir pour se prouver à lui-même et à tous les autres qu'il n'est pas un monstre, prouver son innocence et démasquer "l'Ombre" ou en tout cas, retrouver sa piste. Pour cela, il a une petite idée, quelque chose qui, jusque-là, l'avait intrigué, sans plus... Derrière un meuble, dans son appartement, il y a une porte. Une porte qui donne sur... Sur quoi, au juste ?

Une partie de la solution se trouve peut-être derrière cette porte, que vont franchir, pas franchement rassurés, David et Mélodie... De grosses surprises les attendent derrière : l'immeuble serait une coquille vide, comme évidé en son centre et cet espace ainsi créé permet de surveiller en direct live tout ce qui se passe dans les différents appartements. Et il s'en passe de belles, croyez-moi, dans ces appartements ! De quoi aiguiser les fantasmes des plus hardis et choquer les plus prudes !

Mais, lorsque le couple découvre une seconde porte, il commence sérieusement à se poser des questions... Et si un habitant clandestin, quasiment invisible même pour les habitants des lieux, avait élu domicile dans les entrailles de l'immeuble pour y agir à sa guise et, pourquoi pas ?, y zigouiller quelqu'un, le planquer sous les combles et s'arranger pour faire porter le chapeau à David ?

Car, nul doute n'est plus permis, de nouveaux évènements, de nouvelles morts violentes se produisent, toutes en lien avec David. Et, à chaque fois, le peintre manque de tomber dans les pièges que le mystérieux assassin lui tend pour le compromettre... Ballard n'a de toute façon pas besoin d'un flagrant délit pour se faire une religion, quelques preuves lui suffisent, pense-t-il, à faire condamner Huxley jusqu'à la nuit des temps...

C'est sans compter sur l'intervention d'un étrange bonhomme... Après avoir suivi Mélodie dans la rue pendant un certain temps, il sort d'un très mauvais pas David. Il s'appelle Jacques Lucas et on pourrait presque croire qu'il est l'ange gardien du garçon...

Pourtant, malgré le soutien de ce nouvel et inattendu allié, le pire reste à venir et, pour prouver sa bonne foi et ne pas finir à perpétuité en prison, David Huxley va encore devoir surmonter de terribles drames, des situations périlleuses et compter sur un coup de main des copains, Jacques et Margot en tête, pour faire déchanter Ballard et mettre fin aux agissements de "l'Ombre"...

Je ne veux pas en dire plus, peut-être en ai-je déjà trop dit, mais ce résumé ne rend pas hommage au style de Cyrille Audebert. Mon ton est sérieux, didactique, là où la plume de l'auteur est pleine d'humour, pas toujours léger-léger, mais je suis client, alors, pas de souci, là où l'ambiance est franchement portée sur le sexe, le désir, la convoitise... Enfin, en un mot, la luxure, quoi !

Comment ne pas songer à San Antonio en lisant ce roman ? On y retrouve bien des ingrédients chers à feu Frédéric Dard, ainsi qu'une vraie joie de raconter une histoire sérieuse, sans se prendre au sérieux. Là encore, je suis un peu lapidaire dans ma formule et un peu injuste avec Cyrille Audebert, qui sait également, lorsqu'il le faut, laisser la place à de vrais moments de tension et d'émotions, posant quelques instants son nez de clown pour revenir au coeur de son intrigue.

Celle-ci, plutôt classique dans le fond, est malgré tout prenante, on se demande qui peut en vouloir ainsi à Huxley. Bien sûr, comme Audebert connaît ses classiques, comme Agatha Christie, par exemple, plusieurs pistes sont envisageables. Y compris, d'ailleurs, celle d'un coup bien tordu où Huxley nous prendrait tous pour des jambons ! Car l'obsession (même pas sexuelle, celle-là, enfin, je ne crois pas...) que Ballard nourrit envers Huxley n'est pas qu'une ficelle narrative, non, c'est une vraie alternative crédible parmi d'autres...

Et puisque j'évoque dans la même phrase ces deux personnages, il est temps de jouer les intellos de service, ce qu'il m'arrive de faire plutôt pas mal sur ce blog, paraît-il... En lisant "l'Evangile selon Jacques Lucas", je me suis surpris à sursauter sur mon canapé lorsque le commissaire a fait son apparition. J'avais déjà tiqué sur Huxley, mais quand Ballard est entré dans la danse, plus de doute n'était permis, il y avait baleine sous caillou...

Mon ordinateur n'étant jamais posé loin de mon poste de lecture préféré, j'ai lancé illico presto mon moteur de recherche favori (oui, oui, celui-là, mais ça doit marcher avec d'autres, je pense...) pour voir si, par le plus grand des hasards, il n'y aurait pas un lien, même ténu, mieux encore, une controverse acerbe ayant opposé deux auteurs-cultes de la littérature du XXème siècle : Aldous Huxley et J.G. Ballard (ouais, je sais, je suis un brin vicieux, comme lecteur...).

Et là, ô surprise, ô orgueil de voir sa curiosité malsaine récompensée, qu'apprends-je en ouvrant un célèbre site de vente de produits culturels en ligne (oui, oui, celui-là aussi, mais là, c'est le seul qui m'a offert ce que je cherchais au premier coup d'oeil) ? Que Ballard a signé la préface d'une édition d'un des plus célèbres ouvrages d'Aldous Huxley !

Bon, là, j'avoue, je bichais déjà d'avoir découvert ça. Mais ce n'est pas tout ! Devinez de quel ouvrage de Huxley il s'agit ? Des cultissimes "Portes de la Perception" (qui donna l'idée à Jim Morrison d'appeler son groupe "the Doors", par exemple...) !! D'où le titre de ce billet (ça y est, ceux qui étaient largués ont pigé le pourquoi du comment ?), lui-même extrait de cet ouvrage philosophique extrêmement sérieux... D'autant que l'un des moments-clés du roman de Cyrille Audebert, c'est cette fameuse porte donnant sur l'inconnu que va franchir pour la première fois Huxley lorsque les choses se gâtent pour lui...

Bon, évidemment, les portes de Cyrille Audebert ouvrent sur une perception du monde sans doute élargie mais quelque peu concentrée sur ses turpitudes sexuelles... Ca ne m'étonne pas de sa part, puisqu'il a remplacé le LSD par des caramels au beurre salé, dont on ne dénoncera jamais assez les ravages sur le psychisme... Les portes de la perception audebertiennes renvoient sans doute plus à Freud qu'à Huxley, mais l'espionnite aiguë qui règne dans l'immeuble de son roman, elle, rappelle plus aisément un meilleur des mondes qu'on n'aimerait pas voir advenir...

Allez, j'ai assez fait mon malin, j'ai découvert l'écriture de Cyrille, que je ne connaissais jusque-là que comme camarade de délire sur un réseau social (eh oui, celui-là, si, si, là où Cyrille se prend chaque soir vers 19h pour Eddy Mitchell en nous offrant une "dernière séance" à sa façon...) et j'en suis ravi. Je remercie d'ailleurs l'auteur pour m'avoir initié à son oeuvre, j'ai passé un excellent moment de lecture.

Alors, comme j'avais mis le lien où trouver le plus facilement les livres de Cyrille en début de billet, quand vous plongiez, pour certains, dans l'inconnu, tel Huxley franchissant la porte du mur, je vais la remettre maintenant, à la fin de cette chronique, car j'espère bien que vous aussi, vous revenez changés de cette lecture et qu'elle vous aura convaincus de devenir membres assidus du fameux Cyrille Audebert Institute !

Et, si vraiment vous avez encore une légère hésitation, un dernier argument massue : parmi les "goodies" qui accompagneront votre livre, il y a des caramels au beurre salé !! Dont je vantais il y a peu encore les vertus, hum, disons, euphorisantes...

Alors ? Convaincus ??

Quant à moi, si, après ça, je ne trouve pas un job sur une chaîne de télé-achat, vraiment, je ne comprends plus...


2 commentaires:

  1. Monsieur Joyeux, votre article est un véritable bonheur... Dont je ne suis pas peu fier.
    La relève de Pierre Bellemare est assurée. ☺
    Merci.

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  2. Oh, merci du compliment ! Je l'écoutais, enfant, en allant à l'école, après le déjeuner, il savait, et sais toujours, captiver ses auditeurs, j'adorerais raconter des histoires de cette façon !

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