mardi 19 mars 2013

"On meurt toujours comme si on n'avait jamais vécu."

La phrase choisit pour servir de titre à ce billet est extraite du roman, précisons, même si ce n'est pas une citation au mot près, qu'elle est tirée d'un des discours habituel du Dalaï-Lama. Voilà un roman très particulier, aujourd'hui. Un roman qui aborde de front la question de la peine de mort aux Etats-Unis mais, profite de ce levier pour nous proposer une critique sans concession, elle-même assez violente, de la société américaine contemporaine. Un texte à charge, c'est vrai, mais qui n'est sans doute pas forcément très éloigné de la réalité. Que son auteur, Catherine Mavrikakis, soit québécoise et née aux Etats-Unis, n'est sans doute qu'une raison supplémentaire de se pencher avec attention sur "les derniers jours de Smokey Nelson", publié à l'automne dernier aux éditions Sabine Wespieser.


Couverture Les derniers jours de Smokey Nelson


Smokey Nelson doit être exécuté dans une prison de l'Etat de Géorgie, dans quelques jours, le 15 août 2008, une date loin d'être anodine. Voilà près de 20 ans qu'il a été reconnu coupable d'un quadruple meurtre abominable, celui d'un couple et de leurs deux enfants, dans un motel de cet Etat du sud des USA. Aucun doute sur sa culpabilité, il a d'ailleurs reconnu les faits rapidement et, au gré des appels et des demandes de grâce, il vient de passer la moitié de sa vie derrière les barreaux.

Mais, cette fois, la date de l'exécution est fixée et, sauf grâce exceptionnelle de dernière minute, peu crédible sous la présidence Bush Jr, fervent partisan de la peine de mort, Smokey Nelson subira l'injection létale. Un évènement qui, comme à chaque fois, déclenchera des controverses, des mouvements de protestation devant les portes de la prison et des réactions offusquées de ceux pour qui ce châtiment n'est qu'une décision parfaitement juste (et, sous-entendue, méritée).

Voilà le contexte de départ de ce roman qui ne se penchera sur le cas Smokey Nelson qu'en tout fin de récit, après s'être intéressé à trois personnages que cet évènement concerne directement. La construction est simple : chaque chapitre se focalise sur un des personnages, chacun à leur tour, trois séries de trois chapitres, et seul le dixième aura pour personnage central Smokey Nelson, dans ses dernières heures.

Je vais donc parler chacun à leur tour de ces trois autres personnages dont l'existence entière a été marquée à vie, conditionnée, même, parfois, par le quadruple meurtre perpétré en 1989. Deux décennies que Smokey Nelson a passées en prison, mais deux décennies pendant lesquelles cette femme et ces deux hommes ont essayé de vivre malgré tout, de faire abstraction de leur traumatisme, de ne plus penser à Smokey Nelson et à ce qu'il a fait.

Sydney Blanchard est un afro-américain natif de la Nouvelle-Orléans. Depuis 3 ans, il a quitté la ville, ravagée par le passage de l'ouragan Katrina. Le quartier où il vivait avec ses parents, un des plus pauvres de la ville, essentiellement habité par des Noirs, a été englouti sous les eaux après la rupture des digues. Contrairement à ses parents qui ont voulu revenir sur place une fois les dangers écartés, Sydney a préféré essayer de refaire sa vie à l'autre bout du pays, à Seattle.

Un choix logique, Sydney est né le jour de la mort de Jimi Hendrix, né et enterré à Seattle. Hendrix, l'idole de ce garçon qui approche de la quarantaine qui n'a jamais vraiment eu de vie, se dit-on en l'écoutant. Pas un job fixe, pas une carrière huilée, pas d'ambition particulière, si ce n'est jouer la musique de Hendrix avec un groupe qui tourne pour rendre hommage au guitariste et chanteur disparu.

En fait, Blanchard soliloque, s'adressant à sa chienne, Betsy, comme l'ouragan qui ravagea la Louisiane, déjà,  en 1965, bien avant Katrina... Il lui raconte sa vie, on va y revenir, mais aussi son envie de rentrer au pays, auprès de ses parents, de retrouver sa terre natale, de s'y installer, d'y trouver un boulot stable et d'y construire enfin une vie.

Voilà donc pourquoi avoir été en pèlerinage sur la tombe de Hendrix, il a pris quelques affaires, est monté dans sa voiture, une Lincoln Continental décapotable, vous savez, ce genre de caisse immense, typiquement américaine, même modèle, mais pas de la même année, que celle dans laquelle JFK fut assassiné à Dallas en 1963... Une bagnole blanche, surnommée, Foxy Lady, qui doit consommer son pesant de carburant, au volant de laquelle il compte traverser les Etats-Unis, en contournant l'Utah, où il ne tient pas à mettre les pieds...

C'est au cours de ce périple que, lors d'une halte dans une station-service, Sydney Blanchard découvre sur un poste de télévision branché sur CNN, un visage connu, surgi d'un passé lointain. Ce visage, c'est celui de Smokey Nelson, dont la chaîne d'information continue (qui a son siège est à Atlanta, Géorgie) annonce l'exécution imminente...

Si Sydney Blanchard reconnaît Smokey Nelson, ce n'est pas parce qu'il l'a connu personnellement, mais, parce qu'en 1989, quelques heures après la découverte du quadruple meurtre du motel, il a été dans le collimateur des enquêteurs. Oui, il y a près de 20 ans, Blanchard a été soupçonné et arrêté pour ce crime horrible, dont il était innocent. Et l'on comprend que, sans un témoignage décisif, Blanchard, petit voleur sans envergure, aurait fait un coupable idéal pour un système où la loi et l'ordre priment bien souvent sur la recherche de la vérité...

Bien sûr, une fois Smokey Nelson appréhendé, jugé et condamné, il n'y aura pas de suite pour Sydney Blanchard, définitivement innocenté. Mais, au fil du monologue de Blanchard, on ne peut s'empêcher de penser que cet évènement a forcément joué un rôle fondamental dans la vie du garçon, l'empêchant sans doute de s'émanciper, de se construire une vie propre... jusqu'à ce que Katrina le pousse à se prendre enfin en main...

Le témoin qui a sauvé, sans le savoir, la mise à Sydney Blanchard, s'appelle Pearl Watanabé. C'est le deuxième personnage que Catherine Mavrikakis nous propose de découvrir et de suivre. Originaire de l'archipel de Hawaii, Pearl, né après la fin de la guerre d'un père d'origine japonaise et d'une mère blonde comme les blés, a été sensibilisée très jeune à la question du racisme, qui avait marqué son père, ostracisé du fait de ses origines après Pearl Harbor.

C'est d'ailleurs sans doute pour exorciser ces moments et affirmer haut et fort sa citoyenneté américaine qu'il a choisi pour sa fille ce prénom si chargé de symbole. Aujourd'hui, Pearl a passé la soixantaine et sa vie s'est partagée entre son île natale et la Géorgie, où elle s'était installée dans les années 80 pour refaire sa vie après une séparation douloureuse.

En cette année 2008, elle est l'employée modèle d'un hôtel d'une des îles hawaïennes et semble heureuse, même si cette femme est si discrète, introvertie, qu'il est difficile de vraiment savoir ce qu'elle pense. Seul hic, l'éloignement de sa fille, Tamara, qui vit au Tennessee, Etat voisin de la Géorgie où elle a fondé une famille. Avec la distance, difficile de se voir souvent. Bien sûr, désormais, avec Skype, on communique, on se voit, on abolit virtuellement les milliers de kilomètres... Mais, ça ne remplace pas les visités en chair et en os.

Voilà 13 ans que Pearl n'a pas rendu visite à sa fille, elle n'a jamais vu ses petits-enfants autrement que par écran interposé. Alors, quand elle se décide enfin à prendre quelques jours de vacances pour revenir sur le continent passer quelques jours en famille, Tamara est ravie. On sent, en revanche, une certaine inquiétude chez Pearl. Et pas parce qu'un long vol direct l'attend. Non, plus parce que ce retour via un aéroport géorgien, la replonge dans ce passé qu'elle a refoulé depuis 20 ans.

En 1989, elle travaillait dans un motel. Un soir, alors qu'elle va prendre son service, elle croise un jeune homme avec qui elle échange quelques mots, fume une cigarette ou deux, puis il se sépare. Quelques instants après, Pearl découvre le carnage perpétré dans une des chambres du motel, ces corps d'adultes et d'enfants massacrés... Et elle comprend que ce jeune homme si sympathique qu'elle a vu en arrivant est probablement l'assassin...

Une rencontre décisive, c'est Pearl qui va mettre les policiers sur la piste de Smokey Nelson et, lorsqu'il sera arrêté, comprenant d'où vient le témoignage qui l'accuse, il passera aux aveux aussitôt. Mais le mal est fait. Pearl est à jamais marquée par ce qu'elle a découvert dans cette chambre... Un traumatisme profond ravivé par hasard quand, dans l'avion, elle apprend que son retour coïncidera avec l'exécution de Smokey Nelson.

Pourtant, une fois dans sa famille, Pearl ne parle pas de ce sujet, sa fille pense même qu'elle n'est pas au courant de l'évènement. Elle prend d'ailleurs soin de ne pas lui en parler, pour ne pas risquer de gâcher les retrouvailles. Mais, quelques détails, quelques comportements auraient pu mettre la puce à l'oreille de Tamara... Croire que Pearl puisse échapper à un sujet qui fait la une, c'est naïf...

Cependant, au fil des chapitres mettant en scène Pearl, on découvre qu'il y a sans doute autre chose que le simple choc des souvenirs, des images sanglantes gravées à jamais dans la mémoire d'une femme au caractère doux, émotif. Non, il y a autre chose ; Pearl a rencontré Smokey Nelson et l'a trouvé charmant, au point d'avoir envisagé flirter avec ce gamin, deux fois plus jeune qu'elle...

Et si ce qui minait Pearl, c'était ça : avoir vu l'homme et non le tueur, avoir trouvé séduisant un monstre et rester persuadée, 20 ans après, que l'on ne peut résumer l'existence de Smokey Nelson aux actes terribles de ce soir-là ou à l'injection létale qui mettra un terme à cette histoire... Comment vivre sereinement avec de telles pensées ?

Enfin, troisième et dernier acteur de ce roman, Ray Ryan. Un homme pieux, à la foi chevillée au corps, une foi radicale, extrémiste par bien des côtés. Une foi en un Dieu qui décide de tout, un Dieu juste mais vengeur, un Dieu qui ne semble pas connaître le mot "miséricorde". Un homme qui vit en Géorgie dans un endroit aux allures d'Eden, une sorte de terre promise où l'on s'attend presque à voir couler le lait et le miel. Un paradis familial que Ray s'apprête à quitter dans les prochains jours, en compagnie de son fils, Tom.

Un retour vers la civilisation motivé par un évènement : l'exécution de Smokey Nelson. Pour rien au monde Ray ne voudrait rater cela. Il fait partie du très petit nombre de personnes admis à assister à la mort de l'assassin. Et pour cause, c'est sa fille, son gendre et ses petits-enfants que Smokey Nelson a massacrés ce soir-là, dans ce motel sans âme.

Et même si Sam était une fille prodigue, partie vivre loin de la famille avant de s'en rapprocher, au point que Ray l'imaginait déjà revenant avec sa famille s'installer au sein du clan Ryan, malgré ses erreurs, ses errements, Sam n'a jamais cessé d'être son enfant préféré, au contraire de Tom, que le patriarche méprise ouvertement, alors que le garçon lui ressemble pourtant plus...

Oui, Ray va assister à l'exécution de Smokey Nelson et il ne doute pas un instant du plaisir et du soulagement que cela lui apportera. Enfin, pas un instant, pas si sûr... On sent que Ray, solide, monolithique, peut parfois douter de tout, de sa foi, comme ce fut le cas tout de suite après les assassinats, avant de revenir dans le giron de la religion et de s'y ancrer par le radicalisme, tant dans la pratique que dans la morale et les valeurs qui en découlent.

Le doute aussi quant à ce que pourrait lui apporter la mort de celui à qui il voue une haine farouche, inextinguible. Pas au point de remettre en cause ses idées sur le bien-fondé, la nécessité de la légalité et l'application de la peine de mort, mais, mais... Plus l'échéance approche, plus on sent les questions s'agiter dans l'esprit de Ray...

Ray Ryan est un orgueilleux, sûr de lui-même, beaucoup moins des autres, même de ses proches. Ray est un patriarche, au sens biblique du terme, presque. Un homme qui place Dieu au-dessus de tout, de la Constitution, des lois du pays, un homme qui se désole de voir l'Amérique originelle, celle des pionniers descendus du Mayflower, chaque jour grignotée par le multiculturalisme, la morale de plus en plus permissive, le matérialisme conquérant...

Pour lui, Dieu décide de tout dans nos existences. Et même lorsqu'un homme noir le prive, dans sa folie, de sa fille adorée, il ne peut s'agir que d'une épreuve divine, équivalente à ce que Abraham connut lorsque Dieu lui-même le poussa à sacrifier son fils unique... Mais on sent que c'est d'abord une effroyable colère qui anime Ray, et le jour de l'exécution de Smokey Nelson sera lui aussi un de ces jours de colère que traverse Ray depuis près de 20 ans.

Une colère telle qu'elle est devenu son sang, son principe vital, au point de se demander comment Ray pourra continuer à vivre quand la cible unique de cette colère aura subi le courroux de Dieu et des hommes, quand le bras vengeur se sera abattu sur le meurtrier... Que restera-t-il à Ray Ryan, une fois cette vengeance légale assouvie ? Coulera-t-il des jours calmes de retraité classique auprès des siens ? Reviendra-t-il à la sérénité, à une foi adoucie, rassérénée, moins violente ? Rien n'est moins sûr, même s'il ne sera pas évident de se trouver une nouvelle raison d'être...

Et puis, un dernier chapitre nous emmène dans le couloir de la mort, vivre les derniers instants de Smokey Nelson, voir ses dernières pensées. Je ne vous cacherai pas que ce dernier chapitre m'a mis assez mal à l'aise. Il y a si peu de remords, de tristesse chez Smokey Nelson, on ne le sent jamais regretter ce qu'il a fait, imaginer la vie qui aurait pu être la sienne s'il avait agi différemment. Il accepte sa peine avec fatalisme, résigné à subir le châtiment, l'appelant presque de ses voeux, comme s'il en avait assez de tout cela, au bout de 20 ans...

Le moins qu'on puisse dire, c'est que Catherine Mavrikakis, dans son réquisitoire contre la peine de mort, n'a pas choisi une solution de facilité. Elle ne "condamne" pas un innocent, un handicapé, un adolescent ou tout autre personnage dont le cas particulier serait susceptible de créer un scandale. Non, elle met en scène un tueur avec lequel on ne se sent pas une seconde en empathie, un monstre, assumé, revendiqué, que seule Pearl Watanabé vient, dans ses souvenirs, défendre...

Mais le message est clair : même pour un Smokey Nelson, il faut refuser la peine de mort, vengeance d'Etat plus qu'application de la justice, traitement inhumain, amplifié par un système qui prolonge ad nauseam la détention mais sans remettre en cause le verdict, juste en le repoussant, encore et encore. Un système qui doit être, pour certains condamner, un vrai supplice, une épée de Damoclès qu'on remonte à chaque fois in extremis...

Mais ce système est tout aussi violent pour ceux qui, à leur corps défendant, se retrouvent impliqués dans ce type d'affaire. Car, comment reprendre le fil de sa vie, comment tourner la page quand, régulièrement, on vous remet le nez dedans parce qu'un nouvel appel est examiné, parce qu'une nouvelle date est fixée, parce qu'un nouveau délai est décidé, etc. ?

Profitant de la fiction, Catherine Mavrikakis place ses quatre protagonistes sous un unique signe, indélébile, comme gravé au fer chauffé à blanc sur la peau tendre d'une existence, et ce signe, c'est celui de la mort. Sydney, Pearl et Ray sont, comme Smokey Nelson, en sursis. Leurs vies se sont arrêtées ce soir de 1989, quand, par la faute d'un jeune homme devenu un assassin de la pire espèce, ils ont été emporté dans le tourbillon judiciaire et médiatique...

Oui, "les derniers jours de Smokey Nelson" est un roman à thèse contre la peine de mort, un portrait critique féroce de la société américaine, mais aussi un plaidoyer pour ces victimes collatérales de la violence endémique de ce pays qu'on dit souvent être la plus grande démocratie du monde...

Je vois que je suis déjà très long, mais il y a beaucoup à dire sur ce livre... Alors, quelques derniers mots. D'abord, pour saluer le travail d'écrivains de Catherine Mavrikakis. Elle a choisi de dissocier ses personnages, de faire de son livre un roman choral. Et, pour appuyer ce principe, elle nous propose trois styles et trois modes narratifs différents pour nous présenter ses personnages.

Sydney Blanchard parle lui-même, ses chapitres sont écrits à la première personne, avec un style oral appuyé, une faconde parfois agaçante, une espèce de logorrhée qui laisse de marbre la pauvre Besty, à qui elle s'adresse. Mais, Sydney reste pour autant un personnage sympa, extraverti, déjanté, que la couleur de sa peau, ses déboires personnels et ses origines sociales ont quelque peu marginalisé. Le rêve américain a oublié Sydney Blanchard et il est aussi l'image même de ces classes pauvres qui ont bien du mal à s'élever dans une société où l'on croit pourtant que tout est possible.

Pearl Watanabé est si humble, effacée, qu'elle n'aurait jamais pu parler d'elle-même. Ses chapitres sont donc rédigés à la troisième personne et c'est même plus à travers les pensées de sa fille qu'on la découvre... Pearl n'a sans doute jamais su le sens du mot "ambition", sa condition est modeste, mais elle ne se plaint jamais, toujours satisfaite de ce qu'elle a, quand d'autres y trouveraient à redire, matière à scandale. Mais, si la vie de Pearl serait un long fleuve tranquille sans l'affaire Smokey Nelson, il n'en va pas de même pour sa fille, enseignante, dont le mari peine à trouver un travail stable et à rémunération constante. Les dettes s'accumule, ça sent la mauvaise surprise des subprimes, pour cette famille...

Enfin, Ray ne s'exprime jamais lui-même dans ses chapitres. En tout cas, pas directement, car il y a plusieurs manières de considérer son dialogue intérieur. Ses chapitres sont rédigés à la deuxième personne du singulier car c'est Dieu lui-même qui s'adresse à Ray. Sans doute peut-on dire que c'est sa construction mentale qui le pousse à formuler ainsi sa réflexion, mais le fait est là, c'est Dieu qui parle à Ray Ryan, un Dieu imprégné de toute la colère et de toute la haine dans laquelle l'homme vit depuis près de 20 ans et la mort de sa fille. Une violence terrible qu'on ressent à chaque mot, dans chaque jugement porté sur d'autres personnes, résultats d'une vie qui n'a pas toujours été rose. Le ton change pourtant sensiblement dans le dernier chapitre, qui se déroule après l'exécution...

Enfin, concernant la critique de la société américaine, Catherine Mavrikakis, à travers ces quatre destinées, montre ce qu'elle considère comme les maux rongeant ce pays. Le racisme, omniprésent, nourri par le crime commis par l'afro-américain Smokey Nelson. Mais pas seulement, le racisme touche toutes les communautés et met un sacré coup à ce fameux melting-pot, dont on dit qu'il est la base d'une société idéalisée.

Un racisme alimenté aussi par les rumeurs les plus folles, comme celle qui veut que l'Etat fédéral et l'Etat de Louisiane ont laissé les digues se rompre pour pouvoir chassé la communauté pauvre et noire de la Nouvelle-Orléans pour offrir ensuite aux promoteurs, et donc, par la suite, à de nouvelles classes plus aisées et moins dérangeantes, de nouvelles terres à conquérir et à construire... Et la possible élection d'un président noir quelques mois plus tard n'y change rien... Au contraire...

La violence est elle aussi terriblement présente dans le roman. Violence physique, violence des mots, violence des situations personnelles, également. Une violence nourrie aussi par cette liberté donnée aux possesseurs d'armes. On en a, on s'en sert, forcément... Symboles meurtriers pour affirmer son rang, son statut, sa race...

Violence liée aussi aux idéologies. La religion en tête, bien sûr, dans une Amérique de l'après 11 septembre. Une terrible radicalisation, à l'image de Tom, le fils de Ray, membre d'une espèce de milice héritière du KKK, qui entend bien rétablir crainte de Dieu, ségrégation raciale, moralité irréprochable dans la vie de tous les jours, le tout, par la violence, unique langage universel, dirait-on...

Mavrikakis critique aussi le capitalisme, que ce soit en parlant de Seattle, ville de Microsoft, ou d'Atlanta, ville de CNN et de Coca-Cola... Hors de cela, point de salut... J'ai évoqué la crise économique qui s'apprête à s'abattre sur le pays avec une violence inouïe, conséquence d'un système transformé en un cercle vicieux infernal, capable de creuser des inégalités sociales et économiques sans doute irréversibles...

Il y aurait encore bien des choses à dire sur ce livre, mais je vais m'arrêter là avant que vous n'agitiez un drapeau blanc pour demander grâce. "Les derniers jours de Smokey Nelson" est un roman exigeant, violent dans le fond comme dans la forme, mais qui pousse le lecteur à s'impliquer dans la réflexion proposée par l'auteur. Sans doute Catherine Mavrikakis prêchera-t-elle plus de convaincus qu'elle ne convertira de lecteurs, sans doute ce roman à thèse doit-il avoir des aspects critiquables, mais c'est un livre puissant et passionnant car, au fur et à mesure qu'on en apprend sur les personnages, notre vision d'eux change.

Mais une chose est certaine, la peine de mort n'est certainement pas quelque chose d'anodin, d'inoffensif. Non, ce choix de société a des effets, et des effets concrets dont il faudrait tenir un peu plus compte, bien loin des débats philosophiques, qui ont aussi leur importance, mais ne mesurent peut-être pas toujours l'onde de choc qu'une condamnation à mort envoie en cercles concentriques vers tous ceux qui sont impliqués dans une telle histoire...


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire