samedi 2 mars 2013

"On ne peut pas être à la fois, l'assaillant, l'agresseur, et celui qui fortifie la ville contre l'agression" (Jean-Marie Adiaffi).

D'une trilogie à l'autre, et en attendant un nouveau cycle, "le Haut-Royaume", qui arrivera au printemps, voici Pierre Pevel de retour sur ce blog. Si, pour "les Lames du Cardinal", je vous avais proposé 3 chroniques, une par tome, cette fois, ce sera un billet pour les 3 romans composant "la Trilogie de Wielstadt", disponible chae Pocket, dans une édition demi-format, un peu plus large qu'un livre de poche traditionnel. Reconnaissons-le, je n'ai pas respecté la chronologie de la bibliographie de Pierre Pevel, "Wielstadt" ayant été publiée quelques années avant "les Lames du Cardinal". Mais je suis entré aussi facilement dans cet univers de fantasy historique, teinté de fantastique de manière plus soutenue, que dans "les Lames" et j'ai pris autant de plaisir, même si des différences notables seront à signaler. Partons dans l'Allemagne du XVIIème siècle, dans les premières années de la catastrophique Guerre de Trente Ans, dans une bien étrange ville, aux prises avec des évènements bien plus étranges, encore...


Couverture La trilogie de Wielstadt, intégrale


1620, l'Allemagne est déchirée par de violents conflits religieux entre catholiques et protestants. Seule une ville semble échapper aux combats et aux rivalités politico-religieuse : Wielstadt. On va voir que cette impression de calme peut être trompeuse, mais c'est un fait, Wielstadt vit hors de la guerre, en marge du monde. Et pour cause : la ville est placée depuis des siècles sous la protection d'un immense dragon, le dernier des grands dragons d'Occident.

Un dragon chargé de veiller sur la ville, c'est vrai, ce qui ne veut pas dire qu'il veille forcément sur ses habitants. D'ailleurs, lorsque les guerres de religion ont franchi les remparts de Wielstadt, entraînant violences et morts, le Dragon s'est chargé de régler le conflit d'un grand feu purificateur, éliminant un certain nombre des habitants qui avaient perdu de vue les spécificités du lieu... Oui, Wielstadt est un lieu particulier, étrange, on ne sait pas ce qui lui a valu ce privilège, mais habiter Wielstadt implique des droits et des devoirs.

Et quand on dit que Wielstadt n'est pas une ville ordinaire, c'est que, outre la concorde qui semble exister entre les différentes factions religieuses, on y croise une population cosmopolite qui peut surprendre l'étranger, mais qui semble ici parfaitement normal : le dragon, donc, dont l'ombre, protectrice ou menaçante, difficile à dire, passe et repasse régulièrement au-dessus de la ville, des faunes, des nains, des géants, des centaures et même des fées... Des créatures qui n'ont là rien de mythologique et qui mène une vie identique à celle des humains.

Pourtant, tout ne va pas bien à Wielstadt. Le dragon n'est pas la seule chose qui plane au-dessus de la ville. L'ambiance, en cette année 1620, s'est subitement tendue. Une série de meurtres particulièrement atroce a débuté sans signe avant-coureur, laissant dans l'épouvante des forces de l'ordre, fort peu habituées, malgré un contexte général pourtant belliqueux, à découvrir des scènes d'une telle violence.

On va alors solliciter l'aide du Chevalier Kantz. Que dire de cet homme ? Il a la quarantaine, ce qui est déjà assez âgé, en cette époque, mais l'on n'en sait guère plus sûr lui. Il a une réputation d'exorciste, mais le mystère qui entoure le Chevalier alimente les rumeurs les plus sombres le concernant... On va jusqu'à nier son humanité et, lui qui semble agir pour le bien des habitants de Wielstadt, semble surtout sentir le soufre pour ceux qui ne le connaissent pas personnellement. Même chez les Templiers, pourtant aguerris, on se méfie de lui et de ce qu'il peut représenter...

Il faut dire que si Kantz n'est sans doute pas le monstre démoniaque que certains veulent voir en lui, il reste un personnage étrange, ne disposant pas apparemment d'armes extraordinaires. Il est un excellent bretteur et son épée lui suffit à mater bien des adversaires. Il dispose aussi d'une grande intelligence, doublée d'une forte intuition, de ruse et d'empathie. Sans oublier l'un des éléments qui suscite l'inquiétude chez lui : cette main gauche gantée en toutes circonstances et qui doit receler quelque chose à la fois de dangereux et de sacré...

Kantz peut sembler aussi bien attachant qu'inquiétant. Mais c'est avant tout un homme blanchi sous le harnais dont on devine qu'il traîne un lourd passé. C'est sans doute ce passé qui l'a rendu si désenchanté mais sans que cela l'empêche de s'acquitter de la mission qui lui a été confiée (mais confiée par qui, voilà une autre facette de l'énigme Kantz) : débarrasser Wielstadt des dangers qui s'y sont installés et qui commencent à miner la ville de l'intérieur. Et il va falloir toutes les ressources de cet homme sans doute hors du commun pour lutter contre ces dangers en question, car eux aussi sont loin d'être ordinaires.

Kantz va devoir se frotter, au cours des 3 romans de cette trilogie, à l'ambition humaine, certes, celle qui pousse à toutes les bassesses, toutes les compromissions, toutes les violences, aussi, mais le Chevalier va aussi se retrouver aux prises avec des forces démoniaques aux pouvoirs bien plus étendus, usant de magie et recourant à l'aide de créatures des ténèbres, goules, spectres et autres, pour essayer d'atteindre leurs sombres objectifs.

Ces ennemis maudits, je ne vais pas trop disserter à leur sujet, cela en dévoilerait trop sur les romans, mais je vous proposerai en fin de billet, d'écouter Pierre Pevel lui-même parler de Wielstadt et de tous les acteurs qui s'y rassemblent pour donner corps à cette passionnante trilogie. En revanche, il va tout à fait être possible de parler des humains impliqués dans les évènements qui, au court des 5 années que nous passons à Wielstadt, vont concourir à semer la mort dans cette enceinte à part afin, disons-le, d'en prendre un contrôle bien illusoire, somme toute terrestre, que le dragon pourrait parfaitement, un jour, effacer en quelques jets de feu imparables... Mais l'homme est ainsi fait qu'il est capable de se damner pour une once de pouvoir...

Ces ambitions apparaissent dès le premier tome, "les Ombres de Wielstadt", même si elles n'en sont, contrairement aux deux autres volets, qu'indirectement le centre. Pourtant, cette série de meurtres horribles, évoquée plus haut, est bien en lien avec ce pouvoir qui corrompt tout, comme va finir par le comprendre Kantz après avoir mené une enquête dangereuse dans une Wielstadt sous le choc.

Mais, remonter la piste des assassins ne suffira pas. Eh non, dans une ville où la magie n'est jamais très loin, ce serait trop simple... Car, ce sont des goules qui ensanglantent la ville. Des êtres primaires, des enveloppes corporelles mortes à qui un sort a redonné vie. Vie, mais rien de plus. Les goules n'ont aucune autonomie, aucune forme d'intelligence, ni même d'instinct. Juste des pantins de chair putréfiée qui agissent selon le bon vouloir de leur maître.

C'est ce maître, celui qui tire les ficelles, que Kantz va devoir retrouver et, pour cela, il va falloir comprendre ses motivations, car, au fur et à mesure que son enquête avance, le Chevalier imagine de moins en moins que le hasard seul guide cette folie meurtrière. Mais si ses instruments de morts sont rudimentaires, gare à cet ennemi impitoyable, mû par des émotions très humaines malgré leur noirceur ! C'est un redoutable adversaire que va devoir affronter Kantz...

Ce premier volet fait apparaître en filigrane l'existence à Wielstadt d'une société secrète à l'influence aussi discrète qu'omniprésente : la Sainte-Vehme. Si vous cherchez ce nom sur un moteur de recherches, vous verrez qu'elle a vraiment existé. Mais, je ne mets pas de lien, puisque Pevel précise bien qu'il a pris quelques libertés avec la véritable histoire de cette assemblée.

Que dire de la Sainte-Vehme de Wielstadt ? Il semble qu'elle s'octroie le droit de juger tel ou tel citoyen, mais pas franchement en fonction de lois humaines en vigueur à Wielstadt et dans le reste du Saint-Empire Germanique, mais bel et bien en fonction d'intérêts propres à ses membres. Oui, disons-le, ce ne sont pas les scrupules qui étouffent les membres de cette société secrète, mais, si l'on n'y prend pas garde, elle pourrait rapidement exercer sur la ville un pouvoir totalitaire aux méthodes radicales...

Dans "les Masques de Wielstadt", le deuxième volet de la trilogie, c'est cette tendance que l'on sent s'affirmer. Il est vrai que d'autres forces interviennent, des forces démoniaques qui, cette fois, prennent la forme de spectres. On est dans une évolution nette par rapport aux goules. Le spectre, c'est vraiment autre chose, plus fort, plus autonome, moins aveuglément violent qu'une goule. Le spectre, c'est un spadassin quasi idéal pour accomplir les basses oeuvres sans que celui qui les envoie n'ait à se salir les mains.

Kantz, dans ce deuxième tome, va bien avoir du mal à savoir sur quel pied danser. Il faut dire qu'aucun des personnages de ce second tome n'est véritablement digne de confiance, ne se présente jamais sous son véritable jour, soit parce qu'il faut conserver la protection de l'anonymat, soit parce que quelque monnaie sonnante et trébuchante est capable de faire de n'importe qui un allié, ou un traître...

Un deuxième tome sur fond de rivalités politiques. La Sainte-Vehme a de la concurrence, ça ne lui plaît pas et elle entend le faire savoir certes avec discrétion, pour ne pas risquer le scandale, mais avec en recourant à des méthodes définitives... Face à la Sainte-Vehme, l'ordre de la Rose-Croix, dont la philosophie, toute teintée, comme sa rivale, de religion, prône une relation privilégiée entre le ciel, la terre et l"homme dans une harmonie que seul le Diable pourrait remettre en cause.

Delà à dire que Pevel instaure dans un Wielstadt, symbolisant sous forme réduite, le Saint-Empire Germanique, l'opposition entre catholicisme et protestantisme, il n'y a sans doute pas loin. Comme une reproduction dans l'enceinte de la ville du conflit qui déchire le royaume, et pour longtemps encore... Avec le vrai savoir-faire de Pevel pour mêler étroitement Histoire et fantastique, dans un mélange harmonieux.

Sans prendre parti, Kantz va se retrouver mêler à ce conflit idéologique. Un peu malgré lui, sans doute, bien manipulé qu'il est au départ, mais aussi parce qu'il sait que cette opposition frontale ne peut que nuire à la mission qui lui a été confiée. Il ne s'agit pas d'abattre la Sainte-Vehme mais bien d'essayer de débarrasser la ville de forces occultes qui paraissent avoir trouvé en cette société secrète aux sombres facettes, un instrument parfait pour mettre en vigueur leur volonté et prendre le contrôle de Wielstadt...

Montant d'ailleurs encore d'un cran dans l'intensité dramatique et romanesque, Pevel poursuit dans "le Chevalier de Wielstadt" le récit de cette guerre intestine qui menace de plus en plus l'harmonie régnant dans la ville au dragon. Pourtant, ce troisième tome est axé sur une enquête sans lien avec ce conflit. Enfin, sans lien, pas si sûr... Je m'explique.

Sévit dans la ville un tueur, on ne dit pas encore en série, mais pour aider à notre compréhension contemporaine, utilisons ce vocable, qui frappe avec une grande régularité et laisse derrière lui des victimes féminines, jeunes et sauvagement défigurées... Une façon de faire qui lui a valu un surnom dans une opinion publique effrayée : le Voleur de visages.

Un tueur apparemment insaisissable, dont l'aura grandit dans la population. Une aura maléfique, alors que rien n'indique que le tueur ne soit pas un humain, ni même qu'il agisse sous l'emprise d'une quelconque magie, qui provoque une panique croissante à chaque nouvelle victime. Et c'est là que l'on retrouve les luttes de pouvoir qui gangrènent Wielstadt.

Car, le peuple gronde contre une municipalité incapable d'arrêter un tel monstre. Un pouvoir officiel qui vacille sur ses bases et voit sa légitimité remise en cause, il n'en faut pas moins pour qu'une société secrète bien organisée, profitant d'appuis forts et même d'appuis non humains, flaire la bonne occasion à saisir pour ramasser un pouvoir tombé au sol comme un fruit trop mur.

L'enquête de Kantz est donc loin d'être anodine. Plus que jamais, le Chevalier et son entourage sont en danger, comme si Kantz était devenu gênant, une menace à prendre bien plus au sérieux qu'on ne le pensait à l'origine... Les évènements décisifs de ce dernier volet vont changer énormément de choses dans le paysage de Wielstadt. Mais aussi pour Kantz, qui ne peut sortir indemne de tout cela.

C'est aussi, logiquement, dans ce tome qu'un coin du voile va se lever sur la personnalité du Chevalier. Oh, sa biographie restera très incomplète, mais les quelques indices distillés permettront de mieux cerner cet anti-héros, car c'est bien ainsi, malgré des qualités dignes des plus grands personnages de romans de cape et d'épée. Et c'est aussi ce qui fait la force de ce protagoniste majeur de cette trilogie : il remplit sa fonction, mais on sent qu'il ne s'y implique surtout pas personnellement, de peur que cela ne le ronge, ne le détruise...

Bien que solitaire, sorte de chevalier errant (un des personnages le compare à Don Quichotte en l'appelant "chevalier à la triste figure", il y a de ça, c'est vrai, même si Kantz est encore plus sombre que l'Homme de la Manche, qu'il est aussi moins grotesque et pathétique que son homologue espagnol et que ce n'est pas l'amour d'une Dulcinée qui motive sa quête), Kantz a su s'entourer d'amis, de proches, de personnes à son service qu'il traite avec respect et noblesse d'âme. Aussi, quand sa mission ne met plus en danger que lui-même mais aussi ceux qui ont son estime, alors, Kantz se doit de prendre les décisions qui s'imposent...

Je n'en dis pas plus, je suis resté assez succinct, je pense, sur chacun des trois volets, vous donnant quelques pistes de lecture, mais je peux vous assurer que j'ai pris énormément de plaisir à lire cette trilogie. Elle comporte bien plus d'éléments de fantasy que "les Lames du Cardinal", à mes yeux, essentiellement parce que c'est son contexte qui est ancré dans la fantasy et que la partie historique n'est qu'un décor.

Wielstadt est une enclave de fantasy dans l'Histoire du XVIIème siècle et c'est une réussite. Les créatures sont parfaitement intégrées à la population humaine, certaines, même, viennent "alléger" le quotidien et les tensions permanentes qui règnent dans la ville. Je pense au géant Féodor, son curieux sabir, son addiction à un alcool dont je ne voudrais pas pour entretenir la plomberie de mon appartement et son affection débordante et expansive pour la fée Chandelle, autre sympathique personnage qui apporte sourire et légèreté, non sans jouer son rôle dans l'histoire.

Mais, ce que j'ai vraiment apprécié dans "la Trilogie de Wielstadt", c'est son rythme, sa construction. J'avais évoqué pour "les Lames du Cardinal", mon plaisir de lire de véritables romans de cape et d'épée. Ici, j'ai trouvé qu'on était carrément dans des thrillers, oui, oui, vous lisez bien. Du rythme, des rebondissements, des chapitres assez courts qui s'arrêtent au moment idéal pour donner envie d'aller plus loin, etc.

Jusqu'aux types d'enquêtes que mène Kantz, qui peuvent rappeler des romans fantastiques tout à fait contemporains. Je ne suis pas un lecteur assidu de fantasy, cela explique sans doute mon enthousiasme et mon plaisir de lecture. Mais, je suis pour le mélange des genres en littérature, parce que, lorsque c'est réussi, le cocktail enivre sans saouler. Et là, je suis sorti... tout guilleret !

J'ai aussi aimé cette atmosphère sombre, oppressante, ainsi que la multitude de questions qu'on se pose de la première à la dernière page. Certaines réponses apparaissent au fil des récits, d'autres sont laissées dans l'ombre et, si je sais que certains lecteurs ne supportent pas ça, moi, j'aime bien qu'on ne me mâche pas le travail, qu'on laisse aussi à mon imagination la possibilité d'échafauder ses propres histoires parallèles...

Après "les Lames du Cardinal", j'ai donc dévoré "la trilogie de Wielstadt". C'est vous dire si je commence déjà à piaffer en attendant le premier tome du nouveau cycle signé Pierre Pevel, "le Haut-Royaume", annoncé chez Bragelonne pour le printemps. Et, pour reprendre le mot de l'auteur, sachez que ce sera... une "beaucoulogie" ! Excitante perspective !

J'en finis, comme convenu, avec ce billet, en vous proposant d'écouter Pierre Pevel parler de Wielstadt. Cette table ronde, sur le thème "Damnés et démons", s'est déroulée la semaine dernière lors du Festival Zone Franche, à Bagneux. Aux côtés de Pierre Pevel, l'ethnologue Dominique Camus, le spécialiste du petit monde, Pierre Dubois et l'illustrateur Jean-Michel Nicollet. Merci au site d'Actu SF pour cet enregistrement.


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