vendredi 28 février 2014

"Ce n'est pas la façon dont sa lame est aiguisée qui fait le talent du sabreur" (Yvan Audouard).

ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE SECOND VOLET D'UN DIPTYQUE.

Je pensais donc ne consacrer qu'un billet au diptyque de Thomas Geha, "le sabre de sang" (lu dans sa version éditée chez Critic, mais désormais disponible en poche chez Folio), mais, à peine avais-je entamé son second volet que j'ai su qu'il en faudrait deux. Ces deux livres forment un tout, c'est vrai, mais ils sont aussi très différents l'un de l'autre, dans les choix narratifs mais aussi dans l'histoire elle-même, dans les explications données au lecteur quant aux événements qui se produisent ou se sont produits. Mais, évidemment, je risque de donner dans ce billet des informations concernant le premier tome, soyez prévenus !





Voilà 7 ans que Tiric Sherna, cartar Shao avide de revanche, a découvert le sabre de sang et est tombé sous son emprise. L'arme magique lui a permis de renverser l'envahisseur Qivhvien et de prendre le pouvoir. Un pouvoir étendu aux Sept Royaumes, mais un pouvoir absolu, féroce, total, violent tyrannique.

Rien à voir avec ce à quoi le cartar aspirait avant d'être comme ensorcelée par l'arme forgée par Apeô des années auparavant. L'idéal de paix et de justice qui animait le Shao est bien loin, englouti par la soif de pouvoir qui a gagné Tiric. On dirait que le sabre a multiplié la colère qui consumait le Shao depuis sa défaite pour en faire une arme de destruction massive.

Rien, ni personne ne peut s'opposer au nouvel empereur et à son arme impitoyable, qui a soumis les reptiliens et toute velléité de résistance. C'est un règne sans partage qui a débuté et qui pèse sur les Sept Royaumes. Un règne qu'une seule personne doit pouvoir interrompre, quelle qu'en soit la manière : Kardelj Abaskar.

Le guerrier Shao, lui aussi, qui a été compagnon de détention de Tiric, qui l'a retrouvé dans l'arène où ils ont combattu côte à côte, qui s'est enfui avec lui jusqu'au royaume de Snad, a survécu grâce à ses dons particuliers à la trahison de son ami, métamorphosé par l'acquisition du sabre de sang. Mais il s'en est fallu de peu.

Kardelj est le narrateur de ce second volet et, alternant le récit des épisodes intervenus dans la période de sept ans écoulée depuis la découverte du sabre et le présent, il nous raconte toutes les aventures (et mésaventures) qui lui sont arrivées. Des années passées aux côtés d'un équipage de pirates qui l'a repêché (mais pas seulement lui...) avant de revenir sur la terre ferme...

Il a ensuite pris la route au sein d'une troupe d'artistes itinérants, des Carmintraos, originaires d'un des autres royaumes de l'Alliance formée pour lutter contre l'envahisseur Qivhvien, à l'époque. Plus qu'une troupe, c'est une sorte de famille que Kardelj va trouver avec eux. Mais une famille qui, avant de pouvoir retrouver le sol natal, va connaître la violence et la mort...

Kardelj va survivre, tout comme sa compagne, Aaren, et un mystérieux personnage, qu'on appelle le Masque, parce qu'il ne quitte jamais son hanko, ce masque carmintrao qui lui couvre le visage. Sans nom, muet mais redoutable dès qu'il s'agit de combattre et de défendre les siens, il devient un allié important de Kardelj pour la suite de son voyage...

Au final, le fougueux guerrier Shao va s'installer comme fermier dans ce royaume voisin du sien, où règne une certaine paix, où la menace de l'empereur Tiric pèse moins. Où il espère refaire sa vie, paisiblement, loin de la guerre et des manigances politiques qui l'ont mené dans cette galère, aux portes de la mort, sauvé in extremis par ce don qui, parfois, lui pèse un peu...

Mais, le destin coquin ne va pas le laisser là. Non, Kardelj a une mission, il est le seul à pouvoir le remplir : mettre un terme au règne du sabre de sang et, pour cela, combattre celui qui fut son ami, contre qui il ne s'est jamais battu jusque-là. La donne a changé, depuis l'époque des arènes de Ferza ou des combats sur la route de Cauzyr pour gagner de l'argent...

Et ce combat singulier n'aura rien à voir avec tout cela. A condition même qu'il ait lieu, car avant de se trouver face à face avec le nouvel empereur et de le défier, sans autre alternative qu'un combat à mort, il faudra encore se jouer de son armée, galvanisée par la présence rassurante, ensorcelante, de cette arme magique, le sabre de sang...

Tout l'enjeu de ce second volet est donc de se préparer avec sans doute encore moins de moyens et de soutien qu'il y a sept ans, à affronter un adversaire au moins aussi redoutable, si ce n'est plus, car bénéficiant d'un pouvoir immense, que les Qivhviens... Et, dans cette quête, Kardelj n'est pas au bout de ses surprises, avec des situations inattendues qu'il lui faudra appréhender avec prudence, au risque de tout perdre...

Je survole l'histoire de ce second tome, j'en donne les grandes lignes, occultant volontairement certains éléments plus ou moins importants (pour l'un d'entre eux, je m'attendais à ce qu'il soit plus exploité qu'il ne l'est...). Mais je vous donne les grandes lignes de cette histoire, à la fois proche et sensiblement différente du premier volet.

D'abord, parce qu'on change de narrateur. Au point que Tiric, narrateur du premier tome, n'apparaît qu'assez peu dans cette seconde partie. C'est vraiment l'histoire de Kardelj, cette vie quasiment clandestine, puisqu'on le croit mort à la fin du premier tome, qu'il reconstruit malgré moult dangers, malgré une aspiration à la paix et au calme.

On retrouve bien sûr le côté "road-movie" du premier opus, alternant les déplacements, en mer d'abord, je l'ai dit, puis sur terre, à la merci d'aléas souvent violent, dont personne, pas même le narrateur, ne sortira indemne. Et puis, comme un jeu de miroir, retour au combat, à la guerre pour obtenir la liberté, qui ne règne plus depuis bien longtemps sur les Sept Royaumes...

De nouveau, Thomas Geha fait preuve d'une grande créativité pour nous donner à voir : des décors, des situations, des animaux, des plantes... Euh, à ce propos, si, un jour, par le plus grand des hasards, Thomas Geha vous offre des fleurs (rien à voir avec une quelconque publicité pour un déodorant, je précise), méfiez-vous, songez même carrément à décliner... Il doit être allergique, notre auteur, toutes ses fleurs sont particulièrement dangereuse, on dirait...

J'ai retrouvé ce rythme pas forcément très soutenu mais qui entraîne le lecteur dans les pas de ces personnages, en particulier Kardelj, sur qui repose vraiment ce second volet, et pas seulement parce qu'il en est le narrateur. C'est, au-delà de l'aspect fantasy, sur lequel nous allons revenir, un véritable roman d'aventures où il se passe toujours quelque chose. Dans les Sept Royaumes, la vie est décidément tout, sauf un long fleuve tranquille.

Tout concourt à chaque instant, à faire de ce territoire un lieu en proie à l'arbitraire, sous toutes ses formes. Or, Kardelj est un homme d'ordre. Il l'a toujours été et ça n'a pas changé malgré ce qu'il a traversé. Il n'est pas habité par la colère ou le désir de vengeance, comme Tiric dans le premier volet. Au contraire, il reste toujours très posé, habité plutôt par un idéal que par une ambition.

Pour dire les choses encore plus clairement, qu'il soit désigné pour mener à bien le projet visant à renverser Tiric et à mettre fin au règne tyrannique du sabre de sang sur les Sept Royaumes, soit, mais en aucun cas, il n'agira dans un but personnel, dans l'idée de succéder à Tiric sur le trône impérial. THE héros, quoi...

Et puis, vous aurez noté que j'ai bien plus parlé du sabre de sang dans ce billet que dans le précédent (si vous ne l'avez pas lu, m'enfin ! Cliquez là-dessus...). Et pour cause, il est vraiment au coeur de cette seconde partie alors qu'il n'apparaissait qu'à la toute fin du premier. Oui, on n'en savait un peu sur lui, sur sa conception, mais rien qui explique vraiment son pouvoir et les enjeux véritables qu'il recèle.

Ce deuxième tome nous explique tout, depuis les origines, bien avant que les Humains ne peuplent ce qui deviendront les Sept Royaumes. Et l'on comprend évidemment mieux comment ce sabre a pu ainsi faire de l'orgueilleux et belliqueux Tiric Sherna un tel despote, résolvant chaque problème par la violence (et, il est sans doute du sabre comme de l'épée, donc, quand on vit par lui, etc.) et asservissant ses sujets par sa poigne d'acier et de sang.

Autant, dans le premier volet, peu d'éléments extérieurs intervenaient, à part les rivalités entre factions Qivhviennes au sommet de l'empire, autant ce deuxième tome introduit des notions politiques et religieuses bien plus importantes. Et l'on comprend que l'amitié puis la rivalité entre Tiric et Kardelj n'est rien, rien comparée aux véritables enjeux de cette affaire... Et que le hasard est venu relever tout cela d'un grain de sel... et d'ironie...

Il reste à découvrir les Rimaols... Je dois avouer que je suis tombé sous le charme de ce peuple, dont on a entraperçu quelques membres dans le premier tome, dans des circonstances terribles. Intercalé dans le récit de Kardelj, on en apprend plus sur ces créatures merveilleuses, disons les choses ainsi, et sur la communauté idéale qui est la leur.

Attention, je ne dis pas que les Rimaols sont parfaits, il y a certainement des défauts à leur belle harmonie, on en découvre quelques-uns, d'ailleurs, mais c'est un peuple soudé, comme aucune communauté humaine ne l'est, ou ne l'est plus, désormais. Elle semble hors du temps, hors de toute violence, de toute convoitise, de tout ce qui fait les défauts des communautés humaines, dans le roman, comme en dehors.

Oui, il y a un je-ne-sais-quoi d'angélique dans ces Rimaols. Et, loin d'avoir le côté un peu gnangnan que cet adjectif peut conférer, c'est un peuple auquel on a envie de s'attacher, sans doute aussi de s'inspirer un peu. Au milieu du chaos, de la violence et de la fureur, ils représentent le calme, la douceur, l'harmonie... Et, si j'osais, je dirais que, dans le bon vieux cliché de l'opposition du bien et du mal, ils sont l'incarnation idéale du bien.

J'ai apprécié la lecture de ce second tome qui donne de la profondeur au diptyque par l'explication de l'existence et du rôle précis du sabre de sang. On peut juger ces explications un peu fastidieuse et lourdes, on peut préférer un récit, comme le premier tome, tout au premier degré, de l'aventure et de l'action, rien que de l'aventure et de l'action, mais, moi qui me posais beaucoup de questions sur ce fameux sabre au moment d'entamer ce second tome, j'ai été convaincu par ces explications et tout l'historique qui le sous-tend.

Mais, le cocktail aventure/action est bien là, je rassure ses amateurs ! Et il contribue à passer un agréable moment de lecture, entre batailles, rebondissements, agressions, plan élaboré avec soin, mais capable de se gripper en un rien de temps, trahisons et retrouvailles... La plume de Thomas Geha est efficace et son univers, si on rentre dedans, comme ce fut mon cas, dépayse.

Bien sûr, les thèmes abordés, le portrait des héros comme celui des méchants ne vient pas révolutionner le genre, mais le dosage habile qui met la magie au coeur de l'intrigue sans qu'elle déborde de partout, est réussi. Et la scène finale est très spectaculaire, comme le dénouement d'une tragédie antique, à la fin de laquelle tous les comptes sont soldés...

J'ai bien eu tort de laisser dormir aussi longtemps ce diptyque parmi les piles de livres qui se multiplient dans l'appartement... D'autant que j'avais déjà lu le premier tome mais à un moment de ma vie où j'avais la tête à bien d'autres choses que la lecture... Je n'avais donc pas enchaîné avec le second, oubliant même bien des choses de ce premier tome...

Les soucis sont derrière, l'oubli est réparé et je ne regrette nullement mon choix, motivé, je le rappelle, par la sortie récente de ces deux romans en Folio SF, dans une version retouchée par l'auteur, mais conforme, dans l'ensemble, à celle dont je vous ai parlée dans ce billet et le précédent.

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