samedi 19 avril 2014

"Oublie les contes. Il faut construire son bonheur pas à pas, au quotidien. A toi de l'inventer. La vie peut encore te réserver bien des surprises".

Jusqu'ici, les Editions Héloïse d'Ormesson n'avaient pas de collections particulières dans leur catalogue. Eh bien, voilà, c'est fait, avec une collection entièrement dédiée à des romans noirs, polars et thrillers, exclusivement écrits par des femmes. L'un des deux premiers titres de cette collection est "Là où la lumière se pose", de la romancière belge Véronique Biefnot. Soyez prévenus d'emblée, il s'agit du dernier tome d'une trilogie construite autour du personnage de Naëlle, après "Comme des larmes sous la pluie" et "les murmures de la terre" (tous deux disponibles, désormais, au Livre de Poche). Sans avoir lu ces deux premiers tomes, je n'ai pas eu de mal à entrer dans ce roman, mais si vous souhaitez faire les choses dans l'ordre... Car, ce dernier volet boucle la boucle, au propre, comme au figuré.





Enfin Naëlle semble avoir décidé de se poser, d'accepter l'amour de Simon. Celui-ci, romancier à succès, a eu le coup de foudre pour la jeune femme, à peine plus âgée que son fils, Lucas. Il a ensuite dû faire avec le caractère particulier de sa compagne, qui ne tient pas en place et semble encore marquée par un passé douloureux.

Je n'en dis pas plus, les événements sont racontés dans les deux premiers volets de la trilogie. Lorsque commence ce dernier tome, c'est Lucas qui semble avoir du mal à accepter la relation de son père avec Naëlle. Au point de s'installer presque en catimini en Angleterre, pour suivre un cursus universitaire d'histoire médiévale auprès du charismatique professeur Stenson.

Comme s'il se sentait en trop, alors que Naëlle a l'air de vouloir construire une vie calme dans les Ardennes belges, avec Simon, et y filer le parfait amour. Bon, calme et Naëlle sont deux mots qui vont rarement ensemble... Et si la jeune femme n'a plus l'air de vouloir se lancer dans des aventures à travers le monde entamées sur un coup de tête, il lui faut néanmoins du mouvement...

Alors, elle s'occupe, avec son amie Céline, comme elle peut. Se découvre une passion, originale, pas franchement calme, pour la spéléologie. Et, dans le même temps, elle sent la mémoire lui revenir. Tout ce que son esprit a refoulé depuis des années, toute la noirceur des années passées qu'elle avait oubliée, remontent.

Mais, elle accueille cela avec sérénité. Un changement qu'elle doit à son escapade bolivienne (cf "le murmure des pierres") qui explique ce profond changement qui s'est opéré en elle ces derniers mois. C'est une Naëlle pleine de maturité et de recul qui est prête à affronter ces vérités que, jusqu'ici, elle avait occultées...

Une sérénité telle que Naëlle décide de renouer avec sa soeur, Evelyne, qu'elle n'a plus revue depuis ses huit ans. Elles ont été séparées non pas par les habituelles vicissitudes de l'existence mais par ce drame qui a tant marqué Naëlle, et dont elle se remet seulement, lentement. La jeune femme pense avoir suffisamment digéré tout cela, désormais, pour renouer...

Mais retrouver Evelyne ne va pas s'avérer la chose la plus facile à réaliser...

Je n'en dis pas plus, les thématiques que je vais essayer de développer maintenant dans ce billet apporteront quelques éléments supplémentaires, sans, évidemment, trop dévoiler l'intrigue. Ne soyez pas surpris de ce court résumé, simplement, les éléments des deux premiers volets sont succinctement expliqués dans ce troisième tome et je ne veux pas plus entrer dans les détails.

Si "Là où la lumière se pose" commence plutôt tranquillement, la brièveté des chapitres donne un rythme agréable, posant pas mal de questions au lecteur. Les éléments de la première partie, dont je ne vous ai donné, là encore volontairement, qu'un rapide aperçu, intriguent. Où va-t-on ? Cette incompréhension crée une certaine tension et le rythme haletant du thriller va peu à peu monter en régime jusqu'à la dernière partie, bien plus angoissante.

Je fais cette mise au point, parce qu'il y a toujours ce distinguo (qui m'agace un peu) qu'il faut faire entre polar, roman noir et thriller. Ici, pas de flic, donc, on a pas à proprement parler un polar. Le rythme est vif mais n'est pas celui, à mes yeux, d'un pur page-turner, sauf le final, qui est trépidant. On tremble, on s'inquiète et, si l'intrigue est assez classique, sans grosse surprise, on peut tout de même dire que "Là où la lumière se pose est un thriller".

Un thriller dont le thème principal est la famille. Pas au sens biologique, même si ces liens existent également de façon non négligeable, plus au sens d'appartenance à un groupe. Chacun des personnages principaux semblent à la recherche de cette appartenance pour pouvoir y fonder son équilibre personnel.

Une thématique développée de différentes manières. Lucas, par exemple, se sent un peu le dindon de la farce, délaissé par un père amoureux. C'est dans des camps médiévaux, vêtu comme un écuyer recherchant l'adoubement, qu'il recherche l'appréciation d'un adulte, ce professeur Stenson qu'il veut épater comme un père...

Simon, pas besoin de le dire, voudrait vraiment que Naëlle puisse vivre à ses côtés, sans plus penser à ses profondes blessures, afin de fonder une famille. C'est vrai qu'il s'est sans doute focalisé sur Naëlle aux détriments de Lucas, mais rien ne devrait empêcher qu'enfin, ils puissent former tous les trois une famille.

Ce qui l'attend est un brin plus complexe, mais on va aussi voir dans sa manière de réagir aux événements que l'écrivain solitaire et sans doute égoïste, sans cesse obnubilé par l'écriture et la promotion de ses livres à succès, va se découvrir une toute autre motivation dans l'existence : celle d'un chef de famille.

Enfin, Naëlle (d'autres personnages suivent ce schéma "familial", mais je ne veux pas les évoquer puisque je n'ai pas parlé d'eux jusque-là ; à vous de les découvrir). C'est sans doute celle qui a les motivations les plus évidentes dans ce domaine. Elle semble croire que renouer avec sa soeur reviendrait à faire définitivement table ronde du passé.

Elle va tant et si bien se fixer ce but qu'elle va en oublier cette autre famille qu'elle est en train de constituer avec Simon et Lucas. Pour le coup, ce sont les liens du sang qu'elle cherche à renouer, pour boucler la boucle, reprendre le cours d'une existence familiale détruite. Mais ça, c'est facile à dire, elle va se retrouver embarquée dans des affaires de famille bien moins joyeuses et réconfortantes...

Car la famille est bel et bien au coeur de l'intrigue du roman de Véronique Biefnot, et là encore dans des formes variées, jusqu'à être contradictoires, effrayantes. Ce passage en revue de tant de manières de former une famille est une manière pour tous les personnages de prendre conscience de ce qu'est un esprit de famille, et pas juste un rassemblement de gens... Que la famille est une fusion, une complémentarité, pas une soumission à un dominant.

Oui, Véronique Biefnot, avec ce troisième tome, boucle la boucle, comme un serpent qui se mord la queue. La construction du roman, pleine de symboles, d'éléments à interpréter (la passion pour la spéléologie qui fait écho au passé de Naëlle mais aussi à sa plongée en elle-même pour retrouver ce passé, par exemple) est un mécanisme d'horlogerie, chaque engrenage s'assemblant pour créer un mouvement.

Je le redis, le suspense monte et même si l'intrigue n'est pas extraordinairement originale (malgré un décor très intéressant, mais on va y revenir), on se prend au jeu parce que tout cela est très bien agencé, va crescendo et rend le lecteur vaguement claustrophobe. Sans oublier le contexte de ce dénouement, angoissant à souhait.

Par moment, je me devais ressembler à un enfant dans un spectacle de Guignol, criant presque à Naëlle qu'elle ne devait pas rester là, qu'elle devait ouvrir les yeux, à cause du vilain Gnafron, prêt à fondre sur elle. Aveuglée par ce souhait bien compréhensible, c'est dans la gueule du loup, ou du serpent, je ne sais plus, que se jette Naëlle. Sans filet...

Je ne serai pas complet sans parler des éléments qui, par instants, font de "Là où la lumière se pose" un roman flirtant avec le fantastique. Naëlle est une jeune femme impulsive, parfois un peu fofolle, même, mais ce n'est pas la seule de ses particularités. Elle a sans doute hérité de son passé tourmenté de certaines aptitudes surprenantes, mais fort utile quand le danger rôde...

Et puis, je m'en voudrais, dans ce monde où les chats semblent chaque jour un peu plus étendre leur domination, de ne pas évoquer Nicolas. C'est le chat de Naëlle qui porte ce joli prénom et lui aussi, montre un instinct et un caractère quasi surnaturels, qui peuvent surprendre. Impulsive et fofolle, Naëlle, mais possédant des ressources inattendues...

Enfin, pour terminer, évoquons un aspect du roman très intéressant. Régulièrement, dans le cours du récit, à la fin de chapitres, par exemple, apparaissent, complètement hors contexte, de courts interludes, rédigés à moitié en italique... A première vue, une espèce de charabia assez inquiétant, sans aucune indication, contrairement à tous les autres chapitres, d'indications de lieux et d'heures...

Mais, au fur et à mesure qu'on rencontre ces lignes, apparaissent quelques éléments identifiables... Et, petit à petit, c'est un univers de contes de fées qui s'installé, aidé par le décor de ces profondes forêts ardennaises... Oh, ne vous attendez pas à l'univers rose bonbon à la Disney, non, c'est l'univers sombre de Perrault ou des Grimm dans lequel entre lecteur...

Je n'en dis pas plus, concernant l'origine de ces textes, mais il font écho au comportement de Naëlle, qui ressemble à un Poucet, une Gretel, par moments. Et à d'autres, mais chut, toutes les références, celles que j'avais repérées et que je viens de vous donner et d'autres, sont listées en fin d'ouvrage. Et la liste est longue, au-delà des contes...

Mais tout cela contribue à instaurer une ambiance sombre, étrange, menaçante, étouffante. Et on pourrait filer la métaphore du conte de fées encore plus loin, car il y a bien une fée et un ogre, mais là encore, je m'arrête là. Et on se dit même qu'avec notre thématique familiale, une fin du genre "il se marièrent et eurent beaucoup d'enfants" serait parfaite... Mais on est dans un thriller, pas dans un conte...

Je me suis pris au jeu de ce roman, j'ai accroché avec ce personnage à la fois si ténébreux et si plein de fraîcheur qu'est Naëlle. Lucas aussi m'a intéressé, même s'il a un rôle secondaire dans ce thriller. J'ai marché à cette histoire, même si certains points se voit venir de loin. Pas grave, on est là pour boucler la boucle, donc c'est logique et cohérent.

Mais n'ayant pas lu les deux premiers tomes, et même si Véronique Biefnot explique les choses avec plein de finesse, en ne dévoilant que l'essentiel de ses deux précédents livres, je me suis senti un peu frustré de ne pas avoir rencontré Naëlle avant, de ne pas l'avoir suivie dans ses autres aventures.

Naëlle ne communique pas seulement de l'empathie au lecteur, elle lui transmet aussi de l'énergie, qu'elle a à revendre. J'imagine le mal que l'auteure doit avoir à se séparer d'un tel personnage ! Et, croyez-moi, si Naëlle vous touche, alors vous serez certainement bouleversé par un autre personnage qui n'a pas été directement évoqué dans ce billet et qui est aussi une vraie source de lumière dans cette obscurité...

Une découverte que j'aimerais bien prolonger, à l'avenir. Soit en reprenant la trilogie au début, soit en voyant où nous emmènera Véronique Biefnot, qui sait créer un univers très personnel, presque romantique dans son sens littéraire, en entremêlant noirceur et poésie, sans jamais perdre de vue son intrigue et le rythme nécessaire à son accomplissement.

1 commentaire:

  1. Une trilogie sur la famille, ça pourrait me tenter, mais je crois que je vais les lire dans l'ordre. Je découvre ton blog ce jour et je vais revenir pour approfondir .. ;-)

    RépondreSupprimer