dimanche 4 mai 2014

"Ainsi, recueillant sur leur sol toutes ces richesses, les habitants de l'Atlantide construisirent les temples, les palais des rois, les ports" (Platon).

Eh oui, Platon, on ne se refuse rien sur ce blog ! Et pour cause, dans son dialogue intitulé Critias, le fameux philosophe antique aborde une question qui, depuis longtemps déjà à son époque, aiguisait les curiosité : l'Atlantide. Et c'est justement ce mystérieux continent perdu qui est au coeur de notre roman du jour, le troisième volet d'une série que je suis ravi de retrouver : "Lasser, le détective des dieux" (il est préférable de lire les tomes dans l'ordre). Dans "Mystère en Atlantide" (aux éditions Critic), Sylvie Miller et Philippe Ward ont donc choisi d'envoyer leur détective privé favori à la recherche du continent perdu. Et, comme d'hab', il va devoir faire avec ces insupportables divinités. Et le lecteur, lui, se régale de ce savoureux mélange entre fantasy, uchronie, roman noir, roman d'aventure, humour et même science-fiction.





A peine a-t-il pu souffler après avoir sauvé le "mariage à l'égyptienne" qui était au coeur de son enquête précédente que Jean-Philippe Lasser est à nouveau sollicité. Il est, comme à son habitude, accoudé au comptoir du bar de l'hôtel Sheramon, au Caire, sirotant un de ces whiskys qui font son ordinaire, quand une voix le rappelle à ses devoirs de détective des dieux...

Mais, ô surprise, pour une fois, ce n'est pas une voix féminine qui l'interpelle. Non, c'est un dieu qui vient le voir. Et pas n'importe lequel : Zeus, en personne ! Etonnant, quand on connaît le peu d'affinités entre les panthéons égyptiens et grecs... Mais Lasser a désormais fait ses preuves et sa réputation grandit... Le nombre de ses ennemis aussi, d'ailleurs...

Zeus, pourtant réticent à l'intervention de Lasser dans les affaires divines il y a peu, a donc apparemment changé d'avis. Lasser ne se fait pas d'illusion, il sait qu'il est plus un instrument qu'un véritable partenaire. Qu'à cela ne tienne, les dieux payent bien ses services et, de toute manière, s'il ne veut pas terminer en tas de cendre après vaporisation, il ne peut pas refuser l'affaire...

Mais, quand il entend la demande de Zeus, il est... sidéré ! Voilà que Zeus lui demande, ni plus, ni moins, de retrouver l'Atlantide, continent perdu depuis... 6000 ans ! Et, pendant tout ce temps, Zeus, malgré ses immenses pouvoirs, n'a pas réussi à retrouver où se situait l'île engloutie. Alors comment pourrait-il, lui, simple mortel, y parvenir ?

L'explication de Zeus est simple : les Atlantes ont trouvé comment déjouer les pouvoirs des autres divinités... Mais comment ? Bref, un mortel est peut-être la personne la mieux indiquée pour parvenir à retrouver l'île. Mais où ? Les légendes la situent un peu partout entre Mare Nostrum et Océan Atlantique...

Seul indice donné à Lasser : le disque de Phaïstos, orné de ces symboles incompréhensibles, que personne n'a jamais décryptés. Et débrouille-toi avec ça ! En plus, il se doute bien qu'Isis, même si elle a donné son accord, n'est pas ravie de laisser son détective bosser pour un autre dieu, qui plus est un dieu appartenant à un autre panthéon... Mais, il sait qu'il pourra tout de même compter sur son aide en cas d'urgence...

Voilà donc Lasser parti à l'aventure. Et, d'emblée, son enquête semble déplaire. Ca lui vaut de nouveaux passages à tabac, une activité qui semble désormais faire partie de son quotidien de détective des dieux... Sauf que là, Fazimel morfle, et sévèrement. Et là, ça met en colère un Jean-Philippe habituellement plutôt débonnaire...

Après une nuit sous haute surveillance, celle de son meilleur ennemi Hussein Pacha (une des scènes les plus hilarantes de ce tome, cette nuit pas comme les autres), Lasser s'embarque pour la Crête. Avec toujours aussi peu d'indices, un conseil de Hapi 13 pour l'envoyer voir un cousin sur cette île, l'aide d'un universitaire spécialiste de la question, Anti Mirakis, le soutien de Ouabou (imposé par Isis) et du djinn Amr. Sans oublier que le bateau sur lequel il va voyager est commandé par Gabian, grâce à qui il avait pu quitter la Gaule alors qu'il était en grand péril...

Commence une croisière en Mare Nostrum un tantinet agitée...

Fataliste, Lasser l'a sans doute toujours été. Mais depuis qu'il fréquente de près tous ces dieux, ça n'a pas arrangé les choses ! Quoi qu'il fasse, il sait qu'un de ces insupportables personnages viendra lui-mettre des bâtons dans les roues, car les intérêts des uns et des autres ne convergent que très rarement...

Alors, oui, on lui fait confiance, mais il reste un humain et sait qu'on le remettra toujours à sa place, négligeable... Alors, il s'y colle, parce que, mine de rien, il a une conscience professionnelle chevillée au corps. Et parce qu'il est meilleur à chaque enquête, plus sûr de lui, plus entreprenant. En 3 tomes, qu'est-ce qu'il a changé, notre Lasser ! Il est en passe de devenir un véritable héros, mais aussi de montrer aux dieux qui c'est Raoul... enfin, Jean-Philippe...

Il prend des initiatives, compte sur ses amis (et amies) mais pas uniquement, ne s'écrase pas devant les dieux, leur dit leurs vérités et refuse d'agir selon leur bon vouloir. Insolent, Lasser ? Oui, un peu, ça fait partie du côté bravache du personnage, mais aussi qu'il a une confiance en lui inébranlable, même pas la colère divine... Et même s'il faut bien savoir quelles bornes franchir, sans risquer un violent retour de bâton...

Oui, Lasser s'émancipe, et c'est très bien ainsi. En début de roman, il a le blues. La fin d'une enquête, mais surtout Médée lui manque. Il est amoureux, notre détective, c'en est touchant, amoureux d'une femme qui l'a pourtant trahi, et pas qu'une fois, malgré elle, peut-être, mais c'est un fait, et qui a disparu, corps et âme...

Malgré l'adrénaline et la folie de l'enquête, la curiosité de se lancer à la poursuite d'un tel mystère et les dangers qui se profilent, Médée reste dans sa tête. Et peu importe les nouveaux personnages féminins qu'il rencontre (ou retrouve) dans son odyssée, il n'a qu'une image en tête, Médée, Médée, MAYDAY !!

Il est en détresse, notre détective des dieux ! Ajoutez la blessure de Fazimel, voilà des motifs suffisants pour se lancer à corps perdu dans une enquête complexe. Et tant pis pour la bienséance et la politesse, tous les coups sont permis ! Avis aux dieux, demi-dieux, humains ou... autres : ne vous mettez pas dans le passage de Lasser, il est colère !

Comme dans les précédents tomes, Sylvie Miller et Philippe Ward nous ont concoctés un cocktail à base de mythologie, d'aventures à la Jules Verne et à la Tintin, de magie, de merveilleux et de... Ah non, ça, je ne peux pas le dire... On ne s'ennuie pas et les deux auteurs parviennent à se renouveler et à nous surprendre encore.

En témoigne cette incroyable bataille navale qui est LA scène spectaculaire de ce roman. Pas la seule, mais la plus impressionnante, celle qui fait sentir le roulis, les embruns, les craquements des coques et des mâts... On en aurait presque le mal de mer, en tout cas, on s'accroche à tout ce qui peut ressembler à un bastingage, ce qui n'a rien d'évident quand on lit dans son canapé...

Plus sérieusement, cette scène, ce chapitre (et même deux, il me semble) rassemblent toute l'essence de la série "Lasser" : le suspense côtoie le délire, la surprise côtoie la fantas(y)ie et on se laisse embarquer, tendu mais le sourire aux lèvres. C'est un grand plaisir de lecture et, quand on le termine, on se dit : "vite, le suivant !"

Et l'Atlantide, dans tout ça ? C'est le but de l'enquête, c'est long et périlleux d'y parvenir et rien ne dit que Lasser y arrivera... Bon, vous l'avez compris, je ne vais pas vous en parler, cela concerne le dénouement du roman, lisez-le ! Par contre, on peut évoquer plein de choses autour de ce que cela représente, en particulier les thématiques qui apparaissent derrière l'évocation de ce mythe.

Jusqu'ici, la méfiance de Lasser pour les dieux était surtout due à son passé. Ici, il se découvre une raison supplémentaire : une culture sans dieu, lui qui se les coltine du matin au soir, jour après jour, l'idée est séduisante... Reste à constater si ce qu'on lui a dit, à l'image de l'Atlantide, existe vraiment. Et si c'est si bien que ça...

Sylvie Miller et Philippe Ward, avec délicatesse mais fermeté, attaquent le rôle de la religion dans les sociétés quand il empiète sur les libertés individuelles, quand elle se fait arbitraire, totalitaire et oublie le spirituel pour se faire pouvoir politique. Pour cela, c'est vrai que les panthéons antiques incarnent parfaitement la chose, et Zeus, au coeur du roman, plus encore (mais il n'est pas le seul).

On voit aussi esquissée une critique de la globalisation quand elle se fait impérialisme et non métissage. Quand les arrivants se comportent en envahisseurs, imposant aux populations locales leur mode de vie, de pensée, d'être... Mais, plus frappant encore, à travers un personnage en particulier : comment quelqu'un élevé dans une culture et amené à en côtoyer d'autres, finit par en acquérir non pas les bons, mais les mauvais côtés...

Bref, théocraties, colonisation, ce troisième tome de Lasser se fait plus politique. Est-ce pour cela que je l'ai trouvé un peu plus sérieux que les deux premiers ? Je ne dis pas qu'il n'y a pas d'humour, non, il y en a mais, la tonalité globale m'a semblé un peu plus grave. Et, soyons clair, ça ne fait pas de "Mystère en Atlantide" un moins bon livre, au contraire. Et cela va dans le sens, je trouve, de l'évolution du personnage de Lasser.

Revenons pour finir au titre de ce billet, ou plus exactement à Platon. Ayant noté la référence dans le roman, je me suis dit qu'au lieu de partir à la pêche au hasard, comme il m'arrive de le faire, j'avais la source. A condition de pouvoir trouver des citations qui collent. Celle que j'ai retenue me semble bien refléter les enjeux de cette découverte (dont je ne vous ai pas tout dit, loin de là).

Oh, je n'ai pas lu Critias en entier mais quelques passages qui concernent directement la description ou l'histoire de l'Atlantide avant que les éléments déchaînés n'entraînent son engloutissement. Et je dois dire que je me suis bien amusé, rétrospectivement, à voir comment Sylvie Miller et Philippe Ward ont utilisé ces passages pour mieux les accommoder à leur sauce.

Que ce soit la géographie des lieux, l'influence grecque (forcément divine, Platon et Noir Duo même combat !), la richesse de ces lieux, inouïe, et dans tous les domaines, tout se retrouve d'une façon ou d'une autre dans "Mystère en Atlantide", et cela donne d'excellent ressorts comiques pour un bon nombre. On apprend même, mais que leur est-il passé par la tête, qu'un certain fruit serait originaire de l'Atlantide ! J'y repenserai la prochaine fois que j'en mangerai, tiens !

De la même façon, les auteurs se sont préoccupés du mythe, comme on vient de le voir, mais aussi des légendes, plus contemporaines, qui en découlent. Des plus sérieuses et étayées aux plus folles, en passant par les rêves les plus doux et les fantasmes les plus farfelus (et, d'un lecteur à l'autre, je suis sûr que ce ne sont pas les mêmes éléments qui entreront dans les catégories...).

Tout en jouant et jonglant avec ces ingrédients, jamais les auteurs ne perdent de vue leur objectif, l'intrigue du roman, l'évolution des personnages, les rebondissements, les messages sous-jacents... Et, au final, cette Atlantide, c'est comme si on y était. Avec un délicieux décalage, qui a de quoi perdre encore plus le lecteur, déjà déphasé par l'univers antico-contemporain de cette série, que Lasser, que son lien avec les dieux taraude déjà pas mal au quotidien...

J'étais ravi à l'idée de retrouver Lasser et ses amis (et ennemis, et relations de travail), je n'ai pas été déçu, Sylvie Miller et Philippe Ward doivent beaucoup s'amuser à écrire ces livres, et cela se ressent, se transmet au lecteur. Et déjà, j'ai hâte de lire le quatrième tome qui emmènera Lasser... Ah non, je ne vais pas vous révéler cette nouvelle destination ! Mais, faites-moi confiance, ça promet, et on devrait encore bien s'amuser...

1 commentaire:

  1. J'avais vraiment beaucoup aimé le 1er tome, j'ai hâte de pouvoir lire la suite :)

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