jeudi 8 mai 2014

"L'argent, c'est le métal que le Bon Dieu a mis sur Terre pour aider les hommes à lutter contre les erreurs de Sa Divine Création."

Imaginez "l'Appel de la Forêt", de Jack London adapté par le duo Tarantino/Rodriguez. Bon, j'exagère un peu. Beaucoup. Surtout pour London ! Plus sérieusement, c'est un roman sombre, oppressant, glacial, sanglant et plein de bruit et de fureur que nous allons découvrir aujourd'hui. Un western fantastique et crépusculaire (oui, j'aime bien ce vieux cliché du "western crépusculaire", et alors ?), court mais très dense, avec une étonnante galerie de personnages et une ambiguïté certaine qui habite l'ensemble de ce texte. Révélé avec un roman de fantasy, "la Geste du Sixième Royaume", qui a obtenu le prix Imaginales il y a deux ans, revoilà Adrien Tomas avec un roman horrifique qui devrait plaire aux fans d' "Une nuit en enfer", mais pas seulement : "Notre-Dame des Loups" (qui vient de paraître chez Mnémos).





Aidan Arlington était un journaliste. Un bon journaliste. Un homme de terrain qui a couvert la Guerre de Sécession, interviewé les personnages les plus importants de son époque, de l'Union comme de la Confédération. Une étoile montante de son métier. Mais ça, c'était avant... Nous sommes en 1868 et voilà près de quatre ans que sa carrière a bifurqué.

Oh, s'il avait eu le choix, il aurait continué à faire son job de journaliste sans état d'âme. Mais voilà, un soir, en Pennsylvanie, un fâcheux incident a tout changé. Sauvé in extremis par une bande de chasseurs un peu particuliers, il n'a pas d'alternative : s'il veut vivre, il doit tout quitter, tout de suite, sans espoir de retour et se joindre à la troupe.

Ils s'appellent les Veneurs et parcourent les Etats-Unis en long, en large et en travers pour accomplir une mission quasiment sacrée, en tout cas, salutaire. Pourtant, ils n'ont rien de héros populaires, car leur tâche, en plus d'être extrêmement dangereuse, doit impérativement rester secrète. Une tâche poursuivie inlassablement, qu'il pleuve, qu'il vente, ou qu'il neige...

Et justement, là, il neige. Beaucoup. Les forêts de l'ouest des Etats-Unis, et même du Canada, quelque part entre Seattle et Vancouver, sont couvertes de cette neige épaisse. L'hiver 1868 est rude dans cette région. Et c'est là que l'on retrouve Aidan et les autres Veneurs, en pleine action. Les conditions sont mauvaises et, depuis peu, les ennemis se font plus nombreux, comme s'ils sentaient que les chasseurs approchent de leur but...

Aux côtés d'Aidan, il y a Jack, le chef du groupe. Aidan ne l'aime pas, et c'est réciproque... L'ancien journaliste le trouve stupide, mais l'autre a une âme de leader et la discipline implacable qu'il fait régner au sein du groupe a éviter bien des drames depuis qu'il a pris la tête des Veneurs. Ca, impossible de dire le contraire. Mais de la à lui faire confiance...

Il y a Würm. Wilhelm Friedrich, de son prénom. Originaire d'Europe, il a traversé l'Atlantique pour pouvoir poursuivre la chasse qu'il avait commencé dans son pays natal. Il est d'ailleurs le seul à avoir chasser ailleurs qu'en Amérique... D'Allemagne, il a gardé un léger accent et sa tenue, immuable, dont il ne se sépare jamais et qui ne laisse presque rien voir de lui... Enigmatique... Würm était le chef avant Jack, mais il lui a laissé sa place après quelques attaques qui ont échoué...

Il y a Billy, William Winters, le plus jeune de la bande. Un sacré caractère et un excellent tireur. Le don juan de la troupe, aussi. A chaque période de repos, il faut qu'il séduise et qu'il couche avec une ou plusieurs demoiselles... Mais, aussi doué soit-il, il est aussi un peu tête en l'air, trop sûr de lui. Il devrait se méfier : dans cette chasse, toute inattention est fatale !

Il y a Jonas Jorgensen, l'aîné des Veneurs. Un des plus anciens aussi dans la troupe. Il a beau puer comme un troupeau de boucs, il est indispensable aux Veneurs : il en est l'armurier. C'est à lui qu'on doit les perles, ces balles en argent, que les chasseurs tirent sur leurs adversaires et qu'il faut ensuite récupérer dans leur chair encore palpitante. Parce que rien ne doit se perdre...

Enfin, il y a Evangeline. Oui, une femme ! Une ancienne esclave qui a rejoint la troupe après l'abolition, lors d'un passage en Louisiane. On dit qu'elle pratiquerait le vaudou, qu'elle communiquerait avec les esprits... C'est peut-être vrai, mais surtout, elle s'occupe des chiens. De vrais molosses avec des mâchoires énormes, qu'on renforce avec un "gnap-gnap", une mâchoire supplémentaire aux dents d'argent impressionnantes qu'on harnache à la gueule des chiens...

Voilà ces valeureux Veneurs, aux côtés desquels nous avançons, redoutant à chaque instant une attaque, une embuscade. C'est certain, ils sont sur le bon chemin, les escarmouches se multiplient depuis peu, les adversaires sont à chaque fois plus nombreux, mieux organisés, comme si elle était tout près... Comme si elle voulait les empêcher d'approcher encore plus...

Elle, c'est celle qu'on surnomme Notre-Dame des Loups, entre autres surnoms...

Et, tout Veneur qu'on soit, c'est avec autant de révérence que de peur qu'on prononce ce nom. Ce qui n'empêchera pas que, le jour où on sera enfin face à elle, de lui coller une perle entre les deux yeux ! Le seul moyen de faire cesser ce cauchemar... Peut-être... Mais, elle ne se laissera pas faire, la garce, et il faudra encore en tuer, de ses Rejs, comprenez les Rejetons de la Dame, avant de pouvoir espérer la tuer...

Que sont ces rejetons ? De ce côté de l'Atlantique, on les appelle des wendigos. Des créatures terrifiantes, monstrueuses, d'une férocité inouïe, dévouées à leur Dame corps et... non, elles ne peuvent pas avoir d'âme, ces bestioles-là... Même morts, ils sont encore dangereux, les wendigos. Un simple contact avec leur sang, quel qu'il soit, et c'est la contamination...

Voici donc ce que raconte "Notre-Dame des Loups" : une traque, qu'on imagine décisive (mais dans quel sens ?), une guerre sans quartier ni merci dont personne ne saura jamais rien, alors qu'elle aura, si tout se passe bien, sauvé le monde d'un fléau abominable. Mais, pour cela, il va falloir survivre et garder secret ce combat gigantesque.

"Notre-Dame des Loups", c'est d'abord une ambiance. Les forêts profondes, un temps toujours plombé, jamais lumineux, de la neige, en grande quantité, qui entrave les pas, complique la progression déjà difficile d'un groupe qui ne peut se permettre de ne pas faire corps. Les veneurs, c'est une espèce de machines à composant humain, chacun y tient un rôle précis, s'il le lâche, ne serait-ce que quelques secondes, il met tous les autres en danger...

Il y a donc, en plus de ce contexte bien lourd (sorti d'un western à la Peckinpah, en plus noir encore), cette épée de Damoclès, très effilé, à la lame crantée comme une mâchoire, aux crocs dégoulinants de salive, qui menace de s'abattre à chaque instant. Et je parierais que ce n'est pas un crin de cheval qui la retient, mais le poil dru d'un autre animal, si vous voyez ce que je veux dire...

Les scènes d'action proposées par Adrien Tomas sont d'une soudaineté, d'une violence et d'une densité stupéfiantes. On a beau s'y attendre, on sursaute, on se tend, on fait le dos rond (même si cette stratégie, avec toutes les perles qui volent, n'est peut-être pas une si bonne idée, à la réflexion...), on rentre la tête dans les épaules et on attend que ça se termine...

Quand il n'y aura plus d'assaillants, d'un côté... ou de l'autre... Car à chaque attaque, on se dit que les Veneurs peuvent finir sur la carreau. Eventrés, décapités, membres arrachés, ce qui serait mieux que la contamination qui ferait... Non, je ne préfère rien dire, là-dessus. En plus, je pourrais passer pour un "héraut de panique", et ce ne serait franchement pas bon pour ma santé !

"Notre-Dame des Loups" est un roman court, moins de 200 pages, qui se dévorent à pleines dents, riches en moments de tension et en rebondissements. On entre dans le vif du sujet tout de suite, dès les premières pages, on pénètre dans cet univers, on dirait que je parle d'un roman de fantasy, mais c'est bien du fantastique, c'est juste que le ciel et la terre semblent s'être mis au diapason pour former une chape, lourde et inquiétante...

L'efficacité de ce roman, c'est sa construction. Mais, là, je ne vais rien vous dire, à vous de la découvrir. Oh, rassurez-vous, je pense que vous pigerez vite la mécanique. Qui rappelle un peu un roman mythique, dont je tairais le titre, qui fonctionne un peu de la même façon, dans un décor et une atmosphère toutefois bien différents.

Oui, c'est rondement mené, le lecteur n'est jamais ménagé, on se croit par moments au coeur des scènes, comme dans ces films tournés caméra à l'épaule, presque en vision subjective. Il y a un côté jeu vidéo, aussi, un "shoot'em up" grandeur nature où, plus que jamais, il ne faut laisser aucune chance à l'adversaire de s'approcher trop près...

Et puis, il faut quand même que je détaille un peu ce que j'ai laissé entendre un peu plus haut, concernant celle vers qui se tendent les volontés réunies en une seule de tous les Veneurs : celle qu'on appelle Notre-Dame des Loups. Oh, restez zen, je ne vous dirai rien d'elle à proprement parler. Je voudrais juste parler de ce qui m'a frappé tout au long du roman la concernant : la manière de l'évoquer pleine de religiosité...

Rien que le titre du livre plante le décor. Mais on l'appelle aussi la Dame, la Grande Dame... C'est moi, où on croirait des pèlerins parlant des apparitions de la Vierge à Lourdes ? Oui, il y a quelque chose d'aussi impressionnant que ce qu'on voit chez une sainte, dans le ressenti des autres. La sainteté pour parler d'un démon...

Cette "canonisation" de cette entité, car longtemps, on se demande ce qui se cache derrière ces mots, exactement, qui ou quoi, d'ailleurs, participe à l'aspect impressionnant du roman, à son oppression. Oui, la métaphore du pèlerinage n'est pas si fausse. Les Veneurs sont des pèlerins avançant en procession à la recherche de leur salut. Sauf qu'il ne viendra pas de l'adoration de la sainte, au final, mais bel et bien de sa mise à mort. A condition qu'elle le permette, ce qui est loin d'être sûr.

Vous avez l'impression que j'en ai dit beaucoup, surtout pour un roman court comme celui-là ? Oh, ne vous en faites pas, j'ai bien calculé mon coup, je suis resté très généraliste sur plein de choses, je n'ai pas du tout raconté d'événements précis, j'ai survolé la personnalité des personnages, quand j'ai parlé d'eux...

Il y a encore beaucoup à découvrir dans ce roman particulier, d'une grande richesse, en dépit de sa brièveté. Il y a là tous les codes d'un véritable western, dans une région sauvage, difficile d'accès, un peu oublié, qui rencontrent, entrent en collision, même, avec les codes du film d'horreur et de monstres. Un hommage jubilatoire à ces deux genres qui s'appuie aussi sur la variété des légendes.

Voilà encore un point intéressant : comment des légendes, nées à distance, sur deux continents différents, avec des spécificités culturelles remarquables ont-elle pu aboutir à des mythes aussi voisins ? Adrien Tomas, en confrontant les expériences des Européens, des descendants de colons, mais aussi des populations autochtones, nourrit aussi son récit.

Et c'est loin d'être anodin, parce que, pour lutter contre un adversaire tellement supérieur en nombre, il faudra de la cohésion, mais aussi accorder des états d'esprit et des philosophies bien différentes, peut-être même incompatibles... Au point que, face à un groupe aussi hétéroclite, on peut se demander si la principale alliée de Notre-Dame des Loups ne pourrait pas être... la zizanie !

"Notre-Dame des Loups" est le premier roman d'Adrien Tomas, auteur dont j'entends dire le plus grand bien depuis deux ans maintenant, que je lis. Voilà une expérience qui me donne envie de lire ses premiers livres, dans des univers de fantasy plus classiques, en espérant y trouver les même émotions, cette inexplicable sensation qui vous attrape et vous emporte de la première à la dernière page d'un livre...

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