vendredi 10 juillet 2015

"La magie s'était jouée de la Mort. Mais la Mort était revancharde".

Ce début d'été est chaud, caniculaire, même, par moments. Alors jouons des contrastes, si vous le voulez bien, en nous intéressant à un univers où sévit un hiver perpétuel. Non, l'hiver n'est pas arrivé à Westeros, je laisse "le trône de fer" à d'autres brillants exégètes, en revanche, il s'est installé sur le royaume dans lequel se déroule la trilogie de Pierre Gaulon, "Blizzard", publié aux éditions Mnémos. "Le secret des esthètes" est le premier volet de ce cycle signé par un romancier qui s'aventure pour la première fois en fantasy. Et c'est plutôt réussi, en tout cas, très intriguant. Dans un décor aussi somptueux que sauvage et avec des personnages qui demeurent encore bien mystérieux à la fin de ce tome, voici une histoire où la magie, plus qu'un outil, est un véritable enjeu. On est rapidement dans le vif du sujet et pourtant, on ne maîtrise rien des tenants et des aboutissants de cette histoire. D'où une certaine impatience à découvrir la suite !



Le Royaume du Genolain vit dans un hiver perpétuel depuis l'arrivée à sa tête d'Evanen, un tyran qui règne sans partage. La rumeur fait le lien entre ce changement climatique qui a rendu certaines régions invivables et l'avènement de celui qu'on surnomme l'Inquisiteur et la rumeur ne sait pas que sa plaisanterie est une réalité.

Un hiver qui, évidemment, a profondément modifié la vie de ceux qui auront survécu à ce coup de froid terrible, qui a provoqué aussi bien famines qu'épidémies. L'occasion était belle de mettre la responsabilité sur le dos d'un bouc émissaire dont on pourrait ensuite se débarrasser, tout en légitimant le nouveau pouvoir, pourtant arrivé à la faveur d'un véritable coup d'Etat.

Evanen n'a pas eu bien loin à chercher pour trouver ce bouc émissaire : les magiciens. Il faut dire qu'il a des raisons personnelles d'agir ainsi, mais elles sont au coeur de cette trilogie, nous n'en diront pas plus. Reste à bannir toute magie du royaume. En découlera un terrible conflit qui verra les magiciens chassés, emprisonnés ou tués. En tout cas, mis hors d'état d'exercer leur art.

Pourtant, l'un de ces magiciens, véritable bête noire d'Evanen, a réchappé à tout cela. Il se nomme Blizzard et, depuis des années, il vit dans une région quasiment désertique, entièrement glacée, et dans un anonymat complet. D'ailleurs, son jeune disciple, Chasseur, ignore complètement qui est véritablement son maître.

Lorsqu'il le découvre, il est trop tard, les troupes d'Evanen ont retrouvé la piste de Blizzard et il ne se passera pas beaucoup de temps avant que la violence se déchaîne encore une fois. Malgré son pouvoir, qu'on devine immense, Blizzard ne pourra pas résister infiniment à des troupes bien supérieures en nombre.

Alors, il lui faut mettre Chasseur à l'abri avant l'affrontement et ensuite, retarder le plus possible l'échéance avant... de se résigner au sort que lui réserve Evanen. Malgré la réticence du jeune homme, celui-ci doit pourtant s'enfuir en laissant Blizzard seul face aux soldats venus le capturer. Il va rejoindre, dans des territoires toujours aussi hostiles, une des dernières poches de résistance à l'Inquisiteur.

Ceux-ci sont les derniers Royalistes ayant choisi de lutter contre le nouveau pouvoir, dans l'idée, un jour, de restaurer l'ancien régime. Eux aussi sont traqués par les autorités et se cachent dans des régions difficiles d'accès, parfois dans des souterrains qu'on dit avoir été creusés par une mystérieuse civilisation : les Esthètes, dont on ne sait pas vraiment s'ils ont existé ou s'ils font partie de la légende.

Aux côtés de ces rebelles, Chasseur espère trouver le moyen de venir en aide à Blizzard et, depuis l'intervention armée contre son maître, lui qui ne s'était jamais mêlé de politique, vivant paisiblement dans sa cahute, à l'écart de tout, le voilà particulièrement remonté contre ce tyran qui a fait voler son existence en éclats...

Enfin, il y a Iak. Lui aussi est un jeune homme, fils d'un trappeur tué lors d'une chasse. L'enfant a été témoin du drame mais il en est revenu avec la créature qui ne le quitte plus désormais : un tigre des glaces qu'il a su apprivoiser tout en en faisant une arme redoutable. Lui aussi vit loin de la ville, loin des centres du pouvoir, loin des conflits.

Pourtant, lui aussi va être rattrapé par la brutalité du monde et, comme Chasseur, il va devoir quitter ses terres natales pour partir en quête d'une possible vengeance. Mais est-il vraiment le prédateur ou, pour des raisons encore obscures, se pourrait-il qu'il soit une proie ? La personnalité solitaire de ce jeune homme et son attitude particulière, ainsi que la présence de son tigre en font une vraie énigme.

Oui, il y a beaucoup de questions qui se posent lorsqu'on termine la lecture de ce premier tome. Et je dois dire que c'est très excitant, car le décor qui est planté est très original, plein de promesses et on ne l'appréhende que par le petit bout de la lorgnette, pour l'instant. Aucun des personnages que j'ai évoqués, tout comme d'autres, passés sous silence, semblent avoir des faces cachées, des zones d'ombre, des secrets plus ou moins avouables.

Oh, il y a bien des révélations, dans ce premier tome, mais, d'une certaine façon, elles ne font que renforcer l'impression qu'on ne sait pas tout et qu'il reste encore énormément à découvrir. Même l'idée que tous les personnages que j'ai cités ici et qui ont des raisons d'en vouloir à Evanen puissent s'allier et bien fragile. Quant à l'Inquisiteur, il a également des cartes en main que l'on n'a pas vues intégralement.

Mais commençons par le début, avec un prologue qui m'a laissé pantois. Une fabuleuse scène dans ce décor somptueux et glacé, sauvage, qui m'a laissé imaginer un moment que "Blizzard" se déroulait carrément en pleine préhistoire. Bien sûr, l'impression est ensuite démentie et c'est un univers particulier que l'on découvre, en partie.

Evidemment, il y a cet hiver omniprésent, en particulier dès qu'on monte vers le nord et qu'on s'éloigne des principaux centres urbains. L'hiver semble être tombé sur certaines régions, celles où vivent Chasseur et Iak, où se cachent les Royalistes, comme une véritable bombe nucléaire : le paysage est vitrifié, pas par l'atome mais par la glace, la neige, le froid.

Ensuite, et je précise que ce sont des impressions personnelles, à vous de voir comment vous ressentez l'univers mis en place par Pierre Gaulon, j'ai trouvé que Genolain avait des airs de France révolutionnaire : Evanen, l'Inquisiteur, n'est pas une copie carbone de Robespierre, mais je n'ai pu m'empêcher de songer à un Incorruptible lançant la Terreur pour arriver à ses fins.

Impression renforcée par la présence de ces Royalistes, chassés ou exilés, qui refusent de céder malgré le danger. Pour le reste, bien sûr, on est dans de la fantasy, bien loin de tout repère historique aussi précis que ce que je viens d'énoncer et il y a certainement d'autres liens à faire que ceux-là. Et puis, j'insiste, mais les lignes sont vraiment floues dans ce premier tome.

On ne peut pas vraiment installer les personnages dans des rôles archétypaux. Cela va bouger, forcément, et il n'est même pas certain de dire que tel personnage est un héros positif quand l'autre ne l'est pas, tout est bien moins net. On perçoit déjà dans la dernière partie de ce premier volet des initiatives qui fleurent (moyennement) bon la trahison. Et ce n'est qu'un début.

Pierre Gaulon, qui semble savoir parfaitement où il veut nous emmener, réussit dans ce premier tome à parfaitement planter son décor, le régime en place, l'hiver, la géographie de Genolain, etc., tout en introduisant sa galerie de personnages. Une galerie complète et variée, qui est donc loin d'avoir révélé tous ses secrets.

Prenons, tiens, celui qui, semble-t-il, donne son nom à la trilogie : Blizzard. J'aborde la question avec des pincettes car il est possible, peut-être même probable, que je me trompe en disant cela. Eh oui, je vous l'ai dit, rien n'est sûr dans ce roman ! Bref, Blizzard, vieillard pacifique, quasi ermite et maître attentionné envers son jeune élève.

Et puis, aussi surpris que le sera Chasseur, on voit Blizzard se muer en un magicien au pouvoir énorme, capable de tenir en respect un bon moment toute une armée. Ensuite, il cède et est capturé. Et, à partir de là, il sort de l'écran radar... Avouez que jouer les Arlésiennes, ce n'est pas si courant pour un personnage qui donne son nom à une trilogie.

Mais, à la différence du personnage d'Alphonse Daudet, le spectre de Blizzard semble planer au-dessus du livre, sans qu'on sache réellement pourquoi. Qu'attend donc Evanen de Blizzard et qui est véritablement ce vieil homme débonnaire qui ne l'est certainement pas ? Voilà l'un des grands enjeux de cette trilogie pour lequel il faudra patienter.

Toutefois, on pourrait suivre le même raisonnement pour deux autres personnages-clés : les deux jeunes hommes que sont Chasseur et Iak. Sait-on qui ils sont vraiment et quels buts ils poursuivent réellement ? Tout semble indiquer qu'ils sont certes mêlés malgré eux à cette terrible histoire, mais que ce n'est pas vraiment le fruit du hasard.

Oui, il reste énormément de réponse à découvrir dans les deux prochains tomes de "Blizzard" et il faut s'attendre à bien des surprises, car tout, ou presque, peut se produire. La magie, pour le moment mise sous le boisseau, pourrait elle aussi faire un retour en force, et ce ne sera pas forcément une bonne nouvelle, car il est bien difficile de faire confiance à ceux qui la contrôlent.

Enfin, cet hiver qui écrase le Genolain depuis des années est-il fait pour durer encore longtemps ou n'est-il qu'un simple moyen de contrainte ? Peut-on imaginer voir le soleil réchauffer le nord du Royaume et le faire reverdir ou bien, au sens propre comme au figuré, faudra-t-il se faire à l'idée de s'enfoncer un peu plus encore dans les ténèbres et la froidure ?

"Le secret des Esthètes" pourraient bien dérouter un bon nombre de lecteurs, y compris parmi les amateurs de fantasy. Mais je trouve justement que ce climat énigmatique et mystérieux est parfaitement entretenu et le lecteur se retrouve marionnette parmi les marionnettes, à la merci de l'imaginaire de l'auteur.

J'aime cette sensation d'inconfort et d'incertitude que cela donne. Je ne sais pas sur quel pied danser devant ces personnages à qui je ne sais pas si je peux me fier. Alors, il ne me reste qu'une solution pour dissiper le brouillard et comprendre : poursuivre l'aventure. Si ce n'est pas la parfaite définition de l'addiction livresque, je ne sais pas ce que c'est !

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