dimanche 5 juillet 2015

"Une carte fait plus rêver qu'un sonnet".

En cet été très chaud, je vous emmène dans un voyage en plein hiver écossais, dans l'archipel des Orcades, si l'on veut être précis, pour un roman qui rend hommage à un classique de la littérature et à son auteur : "l'île au trésor", de Robert-Louis Stevenson. Nous sommes sans doute nombreux à avoir rêver, à l'adolescence ou plus tard, aux aventures de Jim Hawkins et Long John Silver, sur les traces du trésor du pirate Flint... Avec "Quel trésor !" (publié chez Fayard et désormais disponible en poche chez Points), Gaspard-Marie Janvier ne nous propose pas vraiment un pur roman d'aventures et de piraterie, mais une histoire originale sur les terres même de Stevenson, à la rencontre des habitants de l'île de Fara et des îlots voisins. Pour autant, en nous offrant une sacrée galerie de personnages, il n'oublie pas son point de départ et nous invite à une chasse au trésor pleine de surprises et de rebondissements. Il faudra juste échanger votre stock de bouteilles de rhum (et yo-ho-ho !) pour l'équivalent en whisky, la boisson locale...



David Blair, peintre à la carrière qui ne décolle pas, est le dernier descendant d'une famille d'éditeurs écossais qui, par le passé, avait publié les livres de Robert Louis Stevenson. Mais, aujourd'hui, la maison d'édition va disparaître, faute de successeur au père de David, récemment disparu. Celui-ci, qui n'a pas un sou en poche, doit gérer une succession délicate et les dettes qui vont avec.

Autrement dit, il va devoir mettre en vente tous les biens de sa famille et espérer que cela couvrira ce qu'il doit aux créanciers... Mais, en mettant de l'ordre dans les affaires paternelles, David va faire une étonnante découverte : un dessin. Oh, pas n'importe quel dessin, non, mais celui d'une carte. Blair connaît l'histoire de sa famille et reconnaît aussitôt de quoi il s'agit...

Cette carte aurait en effet été dessinée par Stevenson lui-même et son beau-fils en 1881 et ce croquis aurait inspiré à l'écrivain l'histoire de "l'île au trésor"... Réalité ou légende, peu importe. Dans la panade où il se trouve, David Blair se dit qu'il a peut-être là un bon moyen d'effacer les dettes de son père et même d'avoir un peu de rab pour se remettre à flots...

Mais, en attendant que les experts se prononcent sur l'authenticité du document, que les estimations soient publiées et que les enchères se tiennent, David éprouve le besoin de s'évader, de changer d'air pour se changer les idées. Humilié, attristé, désolé de voir ces souvenirs de famille appelés à être dispersés, l'homme décide de partir vers les îles.

Cependant, il ne choisit pas les îles exotiques et tropicales vers lesquelles Stevenson fit voguer ses héros à la recherche du trésor de Flint, mais vers les îles de l'extrême nord du Royaume-Unis, ces chapelet appartenant à l'Ecosse qui ornent les côtes de la Mer du Nord. Et son choix s'arrête sur l'île de Fara, que connaissait certainement Stevenson, d'ailleurs.

Là-bas, il débarque sans rien savoir, sans connaître personne et va découvrir une communauté soudée, chaleureuse et accueillante. Mais qui lui réserve aussi quelques surprises... Il fait ainsi la rencontre de l'homme à tout faire de l'île, Alasdair McDiarmid, tenancier du "Lord of the Isles", seul pub et hôtel de l'île, cordon bleu et qui possède bien d'autres cordes à son arc...

Ou encore un Français, yes, a froggie, there, what a shame ! Il s'appelle Walruis et son aura est entourée de mystère... Aviateur, la version officielle de son histoire veut qu'il se soit un jour posé en catastrophe sur l'île et qu'il s'y soit trouvé tellement bien qu'il ait choisi d'y rester. Officieusement, on devine le contrebandier derrière ce garçon jovial et roublard...

Petit à petit, David Blair s'installe sur l'île et découvre cette vie loin d'être facile, sur ce caillou battu par les vents, les pluies, la neige, le gel, où il n'y a pas pléthore d'activités pour s'occuper, hormis le pub, lieu de rassemblement aussi important que l'église. Une église qui est, elle aussi, à sa façon, quelque chose d'exceptionnel : c'est un lieu de culte catholique romain, le seul dans ces régions exclusivement protestantes.

Rassuré par la chaleur humaine qui règne à Fara, David Blair va se laisser aller à quelques confidences sur sa situation, sa famille. Cette succession qui le ronge et cette fameuse carte qu'il ne peut effacer de sa mémoire. Son récit éveille alors bien des curiosités de la part des habitants de Fara. Comme s'il avait réveillé d'autres récits, des légendes locales...

Et si le trésor de Flint n'avait rien à voir avec de la piraterie sous des cieux tropicaux ? Et si Stevenson avait évoqué dans son livre un trésor véritable ? Et si le trésor en question, celui de l'Invincible Armada, restait encore à découvrir ? Et si, surtout, les cartes découvertes par Blair n'avait rien à voir avec une histoire romanesque mais donnait des indices pour retrouver le véritable trésor ?

J'avais acheté ce livre à sa sortie, en 2012, je crois, et puis, vous savez comme ça se passe, il atterrit sur une pile et on repousse sa lecture, une fois, deux fois, on l'oublie, on l'enterre... Finalement, voilà, je me suis lancé en profitant de cette période estivale et j'ai profité de ce voyage plein de fraîcheur, mais aussi de surprises, d'angoisse, par moments, et de rebondissements (jusqu'à la dernière ligne).

Gaspard-Marie Janvier a eu une idée très étonnante : se lancer à la recherche d'un véritable trésor que Stevenson aurait camouflé dans son roman. Une idée folle, d'autant qu'on se retrouve sur cette île de Fara, mais aussi sur certaines îles voisines, bien loin des calmes lagons turquoises entourant "l'île au trésor".

Ici, il fait froid et moche, il faut dire qu'on est en plein hiver quand David Blair arrive à Fara. Il fait nuit la plupart du temps, la nature est sauvage, on ne s'aventure pas dans la lande ou le long des côtes accidentées n'importe quand, n'importe comment. Fara n'est pas franchement la destination de vos vacances de rêve, en tout cas, pas les paysages de cartes postales habituelles.

Il règne sur Fara des mystères dignes des "Trente-neuf marches" ou du "Chien des Baskerville". Et les habitants de l'île, eux aussi, s'avèrent plus complexes qu'on ne pourrait le croire de prime abord. Sympathiques, fêtards, gros buveurs, épicuriens (je goûterai bien la matelote d'oiseaux de mer au whisky, tiens...), solidaires et accueillants.

Oh, tous ces traits sont vrais, en tout cas, ils ne sont pas démentis dans la suite du livre. Mais ils sont aussi malin, volontiers dissimulateurs, un tantinet tricheurs aussi. Après tout, un trésor est un trésor (et du genre colossal, en plus), on peut donc comprendre que la convoitise puisse avoir ses entrées au "Lord of the Isles", non ?

Gaspard-Marie Janvier lui-même brouille joyeusement les pistes et s'amuse à rendre flou les frontières entre réalité et fiction. D'abord avec son histoire de carte, bien sûr, mais aussi en travaillant sur une construction narrative particulière qui propose plusieurs points de vue, à travers plusieurs narrateurs.

Car, si Blair est le personnage central de la première partie du roman, deux autres personnes vont porter leur regard sur cette affaire de trésor. Et, d'une certaine manière, remettre en perspective le récit du fils de l'éditeur. En perspective, et en question, aussi. Avec, au coeur de tout cela la question de l'existence du trésor, qui n'est peut-être qu'un simple fantasme, après tout...

Une manière de faire d'autant plus amusante et déroutante que le dernier narrateur de ce roman est... Gaspard-Marie Janvier lui-même ! Il faut dire que le "téléphone hébride" est particulièrement efficace et que la diaspora des îles à travers le Royaume-Uni vaut tous les réseaux d'espionnage les plus high-tech. Mais, comme tout système de ce genre, il a peut-être tendance à déformer quelque peu la réalité.

Alors, en bon écrivain voyageur, disciple de Stevenson, pourquoi ne pas se rendre sur place, histoire de prendre la température, de goûter l'ambiance et d'en savoir un peu plus sur les uns et les autres... Entre le récit de Blair et celui de Janvier, bien des choses se sont produites. Alors, entre vérité, légende, rêve et romanesque, il va falloir démêler tout ça et, peut-être, découvrir le fin mot de cette histoire...

"Quel trésor !" repose beaucoup sur son cadre. Les lieux, le climat, les personnages, tout cela donne un cachet très particulier à ce roman. L'ambiguïté des personnages, avec qui on partagerait volontiers une chopine, mais en vérifiant après qu'on a encore son portefeuille, contribue aussi à l'intérêt cette lecture. Enfin, la crédibilité des narrateurs successifs permet d'ajouter un mystère de plus.

Gaspard-Marie Janvier explore avec une certaine jubilation cette région difficile à vivre et à laquelle ses habitants sont particulièrement attachés. Peut-être même prêts à tout pour sa sauvegarde et pour entretenir les histoires qui courent la lande et sont son véritable patrimoine. Les aspects politique (les velléités d'indépendance des Ecossais) et religieux (Blair est un protestant projeté au milieu des vilains papistes) ajoutent d'autres niveaux de lecture.

Et d'autres raisons qui peuvent laisser croire à diverses machinations... Alors, qui en tient les rênes ? Ou bien, joue-t-on simplement avec les apparences et l'imaginaire collectif qui s'éveille lorsque l'on se retrouve dans un endroits comme l'île de Fara... Le fantôme de Stevenson et la possibilité du trésor font alors tourner les méninges à toute vitesse.

J'ai retrouvé dans "Quel trésor !" des aspects que j'avais beaucoup appréciés en lisant "Whisky à gogo", de Compton Mackenzie. Certes, ce roman, devenu un classique de la littérature écossaise, possède une dimension satirique plus marquée que le livre de Gaspard-Marie Janvier, non dénué d'un humour grinçant bien agréable mais globalement plus sombre. Néanmoins les îles écossaises et leurs spécificités culturelles et humaines sont encore présente. Seul la nature du trésor diffère, finalement.

Bien sûr, il ne faut pas s'embarquer pour Fara de la même manière qu'on accompagne Jim Hawkins sur le pont de "l'Hispaniola". Encore une fois, ce n'est pas une histoire de flibuste, ni un pur roman d'aventures. On est dans de la littérature dite blanche, mais Gaspard-Marie Janvier sait mener sa barque et nous faire partager ce voyage. Et les secrets de l'île de Fara.

1 commentaire:

  1. J'ai lu ce livre à sa sortie et je l'ai apprécié. J'ai tout particulièrement aimé la façon dont l'auteur croque ses personnages.http://www.unchocolatdansmonroman.fr/article-quel-tresor-gaspard-marie-janvier-113819921.html

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