dimanche 13 septembre 2015

"Car il y a des dieux sous le voile, plus puissants et plus anciens que tous les autres dieux".

ATTENTION, CE BILLET CONCERNE LE DEUXIEME TOME D'UNE TRILOGIE.

Il y a quelques jours, Estelle Faye a reçu le prix du meilleur roman de fantasy français pour la jeunesse, décerné par le site Elbakin.net, pour le premier tome de "la Voie des Oracles" (un conseil, jetez un oeil aux autres lauréats et même aux autres nominés, car il n'y a que de bonnes choses dans ce palmarès 2015). J'étais à ce moment-là en train de lire tout autre chose, mais j'avais prévu de m'attaquer au deuxième tome de cette trilogie quelques jours après. Heureux hasard ! Et heureux lecteur, je fus, de retrouver Thya et Enoch, les deux jeunes personnages centraux de cette histoire qui se déroule au Ve siècle de notre ère, alors que le catholicisme s'installe partout en Europe et que l'Empire romain est en plein effondrement. Mais, ce deuxième volet (publié aux éditions Scrinéo), formidable odyssée qui nous fait voyager dans la quasi-totalité du monde connu de l'époque, voit aussi la magie prendre une part très importante et un certain nombre de personnages secondaires, humains et divins, se croiser, se poursuivre, s'affronter, se défier... Une suite aussi prometteuse que le roman initial. Ne reste plus qu'à boucler la boucle.



Après avoir franchi difficilement le Monte Vosego (cf le tome 1), Thya, Enoch et Aylus s'enfoncent dans les terres barbares, à la recherche des Nodes, peuple auquel appartient Enoch. Ils sont toujours poursuivis par les hommes d'Aedon, le frère de Thya, qui voudrait bien mettre la main sur sa soeur, mais pas pour son bien...

Enoch, qui gagnait sa vie comme maquilleur, avant de se retrouver embarqué bien malgré lui (ou pas...) dans cette aventure, s'est découvert des pouvoirs tout à fait particulier, fort utiles pour repousser des ennemis persévérants et surtout, fort dangereux. Mais le jeune homme est encore loin de maîtriser parfaitement ces pouvoirs, pas plus qu'il n'en comprend véritablement le fonctionnement.

Mais l'accueil des Nodes n'est pas vraiment celui escompté... Le passé d'Enoch, et surtout son ascendance (là encore, cf le tome 1), ne passent pas et ceux sur qui comptaient les fuyards pour les héberger et les cacher le temps de souffler, vont s'avérer aussi dangereux que leurs ennemis désignés. Thya, Enoch et Aylus échappent de peu à la mort et doivent repartir sur les routes...

Quant à Thya, les visions qu'elle parvient à susciter sont de plus en plus précises, même s'il faut encore les interpréter, ce qui n'est pas toujours évident, mais ce don ne va pas sans contrepartie. La jeune femme est persuadée que, à chaque fois qu'elle consultera les oracles, cela coûtera la vie à quelqu'un... De quoi freiner ses ardeurs.

Thya doute, Enoch est épuisé d'avoir trop puisé dans ses ressources physiques pour alimenter son propre don... Et pourtant, il faut repartir. Si l'on en croit la dernière vision de Thya, leur destination se trouve bien loin des terres barbares, dans un tout autre décor, une toute autre culture, même : Constantinople ! Une ville qui ne sera que la première étape d'une fabuleuse et périlleuse odyssée.

Dans le même temps, Aedon continue ses basses manoeuvres. Son "cher" père n'étant plus en état de diriger sa maison, le jeune homme peut afficher ouvertement ses ambitions politiques. Fini, l'exil en Aquitaine, il brigue Rome, et rien d'autre, empile les rêves de gloire et se prépare à tout tenter pour leur donner une réalité. Il va alors obtenir un renfort bienvenu.

Une alliée inattendue mais possédant une puissance qui n'a rien d'humaine. Mais, entre ces deux-là, il y a certes des objectifs communs, dont l'un s'appelle Thya, mais leurs ambitions, elles, pourraient bien diverger. Alors, alliance de dupes ? Tremplin vers la gloire pour Aedon ou piège aussi pour le jeune homme, aveuglé par sa vanité et sa soif de puissance ?

Bref, tandis que Thya, Enoch et Aylus se lancent dans une folle aventure à travers des contrées de plus en plus lointaines, à la recherche de ces mystérieux Dieux Voilés, dont ils viennent de découvrir l'existence, sans vraiment cerner ce qu'ils représentent vraiment, autour d'eux, parfois très loin, parfois tout près, leurs ennemis fourbissent leurs armes...

Leurs ennemis s'agitent, c'est vrai, mais Thya, la dernière oracle, est aussi soutenue, sans qu'elle en ait conscience, par tout un monde magique et secrets, qui se démène là encore pour l'aider, la guider, prenant eux-mêmes de très grands risques en défiant des adversaires redoutables... ou en secouant certaines divinités peu concernées par l'affaire et pas vraiment coopératives...

Je reste assez évasif, car ce deuxième volet fourmille de surprises, de rencontres inattendues et de découvertes plus ou moins merveilleuses et d'endroits pas toujours aussi paradisiaques qu'on pourrait le croire de prime abord (ils peuvent le paraître aux yeux du lecteur, mais le sont souvent moins pour les personnages)...

Si le premier tome restait assez discret sur les aspects fantasy, en tout cas d'entrée, les personnages centraux ignorant encore tout de leurs véritables aptitudes et de tout l'Autre-Monde qui les entourait, cette fois, on est de plain-pied dedans et, des pouvoirs des uns au bestiaire des autres, le roman foisonne de créature et d'épisodes spectaculaires qui tiennent le lecteur en haleine.

D'ailleurs, alors que le premier volet se concentrait vraiment sur Thya et Enoch, la narration de ce deuxième tome va s'atomiser pour nous proposer un véritable roman choral, aux multiples scènes simultanées, avec des personnages dispersés, des seconds rôles qui avancent sur le devant de la scène et des personnages centraux non pas en retrait, mais bien occupés et ne maîtrisant pas vraiment les événements.

Cela donne un paradoxe surprenant : alors que ce deuxième tome est sous-titré "Enoch", ce personnage disparaît un bon moment de l'histoire au lieu de la concentrer, comme on aurait pu s'y attendre. On est d'abord surpris, puis, on comprend que l'importance de ce personnage est ailleurs et que ce n'est pas parce qu'il n'est pas omniprésent, que son rôle est moindre.

Tout est dans les raisons de cette disparition... Mais je ne peux pas en dire plus, vous vous en doutez bien. Pourtant, on retrouve, en plus appuyés, en plus inquiétants, aussi, des éléments qui étaient présents dans le premier tome : une certaine ambiguïté (pour ne pas dire une ambiguïté certaine) dans la relation qui unit Thya et Enoch. Et l'ambiguïté, c'est vraiment un excellent ressort romanesque !

Enoch, c'est un personnage très intéressant, particulièrement difficile à cerner. Joyeux lurons, séducteurs, particulièrement habiles avec ses fards et ses perruques, il est un bon compagnon, pas forcément le plus courageux du lot, mais capable de s'adapter à presque toutes les situations. Pourtant, depuis qu'on l'a rencontré en Aquitaine, il évolue.

Il grandit, si je puis dire, puisque, comme Thya, il glisse doucement de l'adolescence vers l'âge adulte. Mais, le terme plus juste, ce serait, je pense : il mûrit. Le gamin déluré qu'on découvre initialement prend conscience du monde qui l'entoure. Avec, en lui, la blessure de ces origines que la découverte de ses capacités extraordinaires ne suffit pas à guérir complètement.

Il est évidemment proche de Thya, mais ne sait pas vraiment encore à quel point. Là encore, leurs liens sont encore flous pour eux quand le lecteur dispose d'informations importantes. Les secrets n'ont pas encore tous été dévoilés. Pourtant, aussi proche soit-il de sa jeune compagne de voyage, il va se retrouver, plus ou moins malgré lui, dans des situations plus que délicates. Oui, au pluriel...

La vraie surprise, c'est sans doute de se dire, en voyant le nom d' "Enoch" sur la couverture de ce deuxième tome, qu'il serait le moteur du récit. Or, c'est plutôt en termes d'enjeu qu'il faut raisonner. Et la relation qui s'est nouée avec Thya est, elle, au coeur de l'histoire, bien plus que les personnages eux-mêmes.

Qui est exactement Thya ? Qui est exactement Enoch ? On en sait un peu plus sur eux, au terme de ce deuxième volet, mais, pour autant, l'essentiel reste encore à découvrir. Et à comprendre. Les énigmes que représentent ces deux jeunes personnages sont encore entières et leur rôle exact dans le système que la fuite de Thya semble avoir mis en branle est toujours bien flou.

Et puis, il y a le contexte historique. J'y reviens, je l'avais évoqué, me semble-t-il, dans le billet consacré au premier volet. Cette période de transition entre Antiquité et Moyen-Âge, cet essor du catholicisme qui impose ses lois et cherche à faire disparaître les croyances anciennes... Mais, avec ce deuxième tome, même si cet état de fait demeure, d'autres aspects interviennent.

Car, on se dit, benoîtement, que les divinités et créatures qui s'agitent dans le sillage de Thya recherchent le moyen de survivre pour les unes, de retrouver leur lustre passé pour les autres. Bref, de mettre un frein à l'évolution historique afin de retrouver un statu quo dans lequel ils ne seraient pas jeté dans l'ombre ou carrément en voie d'extinction.

Mais, les craintes, que l'on croit suscitées par l'expansion catholique sur le continent européen, pourraient-elle venir d'ailleurs ? Tout cet Autre-Monde ne partagerait-il pas les mêmes intérêts dans cet affaire et les mêmes objectifs ? Et si Thya, tout comme Enoch, d'ailleurs, représentait tout autre chose que ce que l'on imaginait au départ ?

En voilà bien des questions ! Sans doute trouveront-elles des réponses dans le dernier volet à venir de cette trilogie. Néanmoins, je dois dire que je suis resté assez circonspect devant les toutes dernières pages de ce tome 2. Vous l'aurez compris, je nage à vue dans cette trilogie, cherchant à cerner au mieux personnages et enjeux. Ou plutôt, je pédale joyeusement dans la semoule, car il est difficile de résister au flot de questions qui nous tombe dessus et nous entraîne dans des directions inattendues.

Ces dernières pages donnent une nouvelle tonalités à cette histoire. Seront-elles un point de départ au tome 3, qui deviendrait alors tout autre chose que ce que pouvais échafauder dans mon cerveau en ébullition ? Ou bien, Estelle Faye joue-t-elle avec nous, comme le chat joue avec la souris, avec la cruauté ignoble de celle qui sait ce qu'il va advenir ?

Je n'en sais rien encore et je n'en suis que plus curieux de découvrir la suite, et la fin, de ces aventures qui, même si elles sont classées en littérature jeunesse, peuvent tout à fait convenir à des lecteurs adultes, j'en suis la preuve. Et, je me répète, mais, croyez-moi, ce deuxième volet est très spectaculaire et vous en mettra plein les mirettes !

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