mercredi 27 avril 2016

"Il est le coeur de la tempête (...) Là où il se tient, le vent ne souffle pas".

La découverte d'un cycle de fantasy a toujours quelque chose du jeu de pile ou face. En effet, si on peut cerner un contexte réaliste assez aisément, même à partir d'une quatrième de couverture, pour ce qui est de la fantasy, genre dans lequel l'unique référence est l'esprit (tordu ? torturé ?) de son auteur/créateur, il en va tout autrement. On se jette à l'eau après y avoir plongé le bout de son gros orteil, mais cette impression fugace ne peut suffire à savoir si l'on se sentira bien quand on sera entré dedans tout entier. Pourtant, avec notre roman du jour, j'avais une vraie curiosité et une vraie envie, pour garder un bon souvenir d'une nouvelle de Nathalie Dau, dans l'anthologie consacrée à Lancelot, lors d'une édition de Zone Franche. Retrouver cette auteure dans l'exercice du long cours aiguisait ma curiosité et c'est encore le cas après avoir terminé "Source des tempêtes", le premier tome du "Livre de l'énigme", publié aux Moutons Electriques. Car l'univers très riche qui nous est proposé reste encore à maîtriser, sa compréhension à approfondir...



Cerdric n'a pas eu l'enfance heureuse qui aurait dû correspondre à son milieu familial. Fils de Nérasia Tirbald, fille du seigneur de Cassegrume et favorite du margrave Ardégyl, il est né avec une petite cuillère en argent dans la bouche, comme on dit. Sauf que sa mère, ambitieuse et, disons-le, assez perfide, ne l'aime pas et lui fait savoir.

Quant à son père, il en ignore tout. Il grandit à la cour, sans ami, sans amour, insignifiant et encombrant, ce que Nérasia n'oublie jamais de lui rappeler. Et puis, à 9 ans, il apprend par hasard l'identité de son père. Une nouvelle qui va bouleverser son existence. Pas seulement parce qu'il peut enfin mettre un nom sur celui à qui il doit la vie, mais aussi parce qu'il découvre les circonstances de sa naissance.

Longtemps, Cerdric s'est cru bâtard et il apprend soudain qu'il est le fils d'un couple légitime. Nérasia est mariée avec un certain Kéral Asulen, dont l'enfant n'avait encore jamais entendu parler. J'ai utilisé le présent, car le mariage unit toujours son père et sa mère, même si le premier a disparu. Et la cause de ce départ est loin d'être anodine...

Kéral était l'un des derniers Mages Bleus, qui ont été persécutés et massacrés lors de cette période qu'on appelle l'Eradication. Sauvé in extremis par le margrave en personne, Kéral est devenu son ami. Un ami un peu trop proche au goût de certains, qui ont fait courir la rumeur d'une relation homosexuelle entre Ardégyl et Kéral.

Le mariage entre l'ami du margrave et sa favorite aurait été arrangé, Cerdric serait né de la relation adultère entre sa mère et Ardégyl... On en imaginerait presque une espèce de ménage à trois qui contrevient à la stricte morale en vigueur à Havra. A tel point que les garants de cette morale ont un jour décidé d'éliminer le personnage encombrant...

Torturé, privé de son drac, cette magie que maîtrisent certains hommes, privé de sa dignité et de bien plus encore, Kéral a été chassé, obligé de partir, loin, très loin, dans une région où il vit près d'un bois qu'habite des fées, là où personne ne vient s'aventurer normalement. Et il y en a pour trouver que ce sort est bien clément...

Cette révélation transforme le timide Cerdric. Les accrochages avec sa mère se font plus forts et il obtient de rester désormais à Cassegrume, loin de la cour. Mais, ce n'est qu'à 16 ans, alors que sa réputation ne cesse de se dégrader, qu'on ne le regarde plus seulement comme un bâtard mais pire encore, qu'il décide de se lancer à la recherche de son père.

Une initiative qui va le combler, le temps qu'il comprenne que son action impulsive équivalait à avoir ouvert la boîte de Pandore... D'un seul coup, la violence va se déchaîner autour de lui, comme si on voulait empêcher que ce qu'il a appris sur son père puisse se répandre. Et en particulier, le fait qu'il ait découvert l'existence d'un personnage auquel il va s'attacher : Ceredawn.

N'en disons pas trop, si vous le voulez bien. Mais ce tandem est au coeur de "Source des tempêtes" et on va le suivre un long moment dans une quête presque picaresque tant ces deux-là (Ceredawn n'est encore qu'un enfant) sont ignorants du monde qui les entoure. Et plus encore des enjeux au centre desquels ils se retrouvent, malgré eux.

Oui, ils sont naïfs, mais chacun à leur façon. Cerdric a du caractère, une certaine autorité, mais il est bien seul et bien peu expérimenté encore pour se retrouver ainsi livré à lui-même et chargé de protéger un garçon qui, lui, ne sait rien du monde et des hommes, pour avoir été élevé totalement à sa marge, isolé...

Ceredawn, c'est un gentil, le genre de gamin qui vous fait un immense sourire quand il vous croise pour la première fois, confiant, trop confiant, mais doté de certaines capacités tout à fait extraordinaire. Si Cerdric est un Réfractaire, comprenez qu'il ne possède aucun drac, Ceredawn, lui, semble doué d'un pouvoir immense, dont il est difficile de mesurer l'exacte ampleur...

Les questions religieuses sont très importantes dans l'univers que met en place Nathalie Dau. Différentes obédiences, différents cultes, différentes ambitions... La lutte fait rage, jusque dans l'opposition qu'on nous présente entre la Loi et le Chaos. Les Mages Bleus, qui servaient l'Equilibre, ont été exterminés sans merci...

Voilà dans quel pétrin les deux jeunes garçons se retrouvent... L'existence de Ceredawn porte en elle-même un danger terrible. En fait le coeur d'une tempête qui se déchaîne depuis que Cerdric a décidé de retrouver son père et qui n'est pas près de s'arrêter. Si Ceredawn ne semble guère s'en soucier, tout valse dans la vie de son aîné, emporté par cette tourmente...

Ceredawn est l'oeil de ce cyclone, et l'on devine, mais très partiellement, quel enjeu il peut incarner. Mais sa clandestinité est son atout. Elle doit demeurer le plus longtemps possible pour épargner bien des risques à ces deux-là. Car, tant que tous ceux qui pourraient lui nuire ignoreront son existence et sa destination, il ne risquera (presque) rien.

Quant à la quête qu'ils vont se fixer, nous n'en parlerons pas ici. Pas seulement parce que c'est évidemment un des objectifs du roman, mais aussi parce que je serai bien incapable de vous expliquer ce qu'ils en attendent... Tout cela sera certainement au coeur du tome suivant, qui devrait expliciter plus en détails les rivalités et les tensions qui s'exercent dans ce monde en ébullition.

Certes, l'univers du "Livre de l'énigme" est assez complexe et franchement délicat à expliciter dans un billet, mais cela permet d'installer tout un jeu de rivalités, d'ambitions, de luttes où politique et religion s'entremêlent et s'affrontent, que l'on ne fait encore qu'effleurer dans ce premier volet. Bien des choses nous échappent encore, il va falloir patienter.

Il y a un élément que j'ai retrouvé dans cet univers et qui m'avait marqué dans la nouvelle que j'avais lue de Nathalie Dau : la place importante donnée aux couleurs. Oui, je sais, vous vous dites que c'est un peu étrange comme remarque, mais, croyez-moi, c'est frappant. Il y a les Mages Bleus, dont j'ai parlé dans ce billet, mais pas seulement.

Le drac, ce pouvoir magique que possèdent certains, et de façon plus ou moins prononcée, s'exprime lui aussi sous une forme très colorée. Et puis, il y a ce... mode de transport, dirons-nous, "l'aile des couleurs", qui permet de se rendre d'un endroit à un autre en quelques instants à peine... Pas le moyen de se déplacer du commun des mortels, mais bien utile pour ceux qui en maîtrisent le fonctionnement.

Dans l'univers de Nathalie Dau, qui, mine de rien, se révèle drôlement violent, on ne croise pas que des magiciens, des religieux ou des guerriers. On y rencontre aussi quelques créatures, et pas seulement les fées que j'ai évoquées plus haut. Et, dans ce domaine encore, je pense qu'on n'est pas au bout de nos surprises de lecteurs.

En fait, en écrivant ce billet, ce sont plein de détails étranges (euh, quand je dis étranges, c'est qu'ils m'ont frappé et que le sens de ces micro-événements n'est pas encore bien clair dans mon esprit) me reviennent en mémoire. Comme par exemple, la question du sang, dont on fait, quelquefois un usage bien particulier...

Mais, c'est avec deux aspects très forts que je vais terminer ce billet, pour vous montrer qu'on n'est aussi dans une fantasy qui interpelle aussi le lecteur sur des sujets forts dans sa réalité. La première, c'est la question de la race. Les Rives et les Marnes, deux peuples pourtant très anciens, sont désormais considérés comme des quantités négligeables, tout juste bons à être réduits en esclavage.

Pour Cerdric, qui n'a jamais véritablement été confronté à ces questions, enfermé dans sa cage dorée à la cour puis à Cassegrume, et la révélation est dure. Mais, elle ne s'arrêtera pas à ces préjugés raciaux, à cette hiérarchisation des individus selon leurs origines. Et, dans ce domaine, les aventures qu'il va vivre et les rencontres qu'il va faire seront aussi une initiation à la tolérance et au respect de l'autre.

Et puis, il y a la dimension sexuelle très présente dans ce roman. Je ne parle pas passion ou procréation, non, je parle morale, rapports de forces, aussi. Et rumeurs. J'ai évoqué la question de l'homosexualité supposée d'Ardégyl et Kéral, mais ce n'est pas tout. Le pauvre Cerdric, rejeton détesté, voit retomber sur lui les rumeurs les plus sordides, nées de cette hypothèse.

L'homosexualité est proscrite de ces royaumes dans lesquels évoluent nos personnages. Une simple rumeur peut défaire une réputation et, si cela s'avère, le discrédit, voire pire, s'abat sur le coupable. Là encore, le pauvre Cerdric doit subir cette terrible pression sociale. Adolescent renfermé, solitaire, il est en pleine construction, également dans ce domaine particulier.

Ce qu'il affronte le perturbe, et pas seulement en raison des bruits et des accusations qu'on porte à son sujet, des pièges qu'on lui tend (on, comprenez sa charmante mère, cousine éloignée de la "charmante" Cersei Lannister, sans doute). Cela le perturbe, parce qu'il en vient à se poser des questions sur sa propre orientation sexuelle... Encore un élément anodin en apparence et sans doute important.

Mais les questions sexuelles, le pouvoir que recèle le sexe, celui qu'on impose à d'autres, ne touchent pas que Cerdric, comme on le découvre dans la dernière partie du roman. Comme souvent, lorsqu'on se trouve dans un contexte régi par une moralité contraignante, le vice prospère. Et ceux qui devraient être exemplaires cachent bien souvent une âme fort sombre...

Ce billet est plus une espèce de patchwork qu'un argumentaire construit. J'ai abordé des sujets qui m'ont marqué, sans véritable fil conducteur. A la va comme je te pousse, presque. Mais, en attendant d'en savoir plus sur les enjeux de ce cycle, j'ai choisi de partager avec vous ces réflexions, jetées sur l'écran comme elles sont venues.

Riche, cet univers l'est, incontestablement. Le décor est planté, on a beaucoup de matière en main, mais ce ne sont encore que les pièces d'un puzzle qui reste à assembler. Et je suis curieux de lire la suite, de voir comment tout cela va s'agencer et quelle sera la place de ces deux jeunes garçons, Cerdric et Ceredawn, chacun dans son domaine, chacun avec ses épreuves à venir.

1 commentaire:

  1. J'ai trouvé ce livre très riche, presque trop quand on l'aborde à vrai dire (le prologue nous plonge très brutalement dans l'univers à mon avis, j'ai dû le relire deux fois), mais c'est passionnant. Par contre je viens juste de noter que 6 tomes sont prévus. Ce sont donc de sacrés développements que j'imagine que nous pouvons attendre, en effet, tant au niveau des personnages que de l'univers.

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