mardi 5 avril 2016

"Moi, Brainless, je suis mort. Et vous, vous êtes vivants. Mais n'oubliez jamais que c'est juste provisoire".

Encore des zombies, eh oui ! Je me suis dit qu'après "Chaos, tome 1 : Ceux qui n'oublient pas", de Clément Bouhélier, il serait bon de rester avec ces braves créatures, décidément très tendance ces temps-ci. Mais, avec cette nouvelle lecture, on change tout : le contexte géographique, l'ambiance, la tonalité générale et même, d'une certaine façon, le public visé, puisqu'il s'agit d'un roman plutôt étiqueté jeunesse. "Brainless", de Jérôme Noirez, publié aux éditions Gulf Stream, est un roman adolescent avec des zombies, ou un roman de zombies avec des adolescents, enfin, un bon moment de lecture qui conviendra aussi bien à de jeunes lecteurs qu'à de plus anciens, j'en suis la preuve vivante (si, si, je ne suis pas Brainless, juré, craché !). Et un roman qui propose aussi quelques pistes de réflexion tout à fait intéressantes...



Jason est un adolescent ordinaire vivant à Vermillion, petite ville du Dakota du Sud. Quand je dis ordinaire, c'est à prendre au pied de la lettre : Jason ne sera jamais l'élève le plus doué, le plus populaire, le pus sportif... Il est depuis toujours et restera dans la moyenne, un jeune garçon pas loin d'être transparent pour ses congénères.

Ordinaire, mais tout de même un peu maladroit et timide, ce qui lui a valu le surnom de Brainless, l'écervelé, qui, aux yeux de tous, lui va comme un gant. Au point que beaucoup n'utilise plus son prénom et se contentent de l'appeler Brainless. Même sa propre mère, serveuse dans un restaurant et qui travaille en soirée, l'appelle ainsi.

Lorsque s'ouvre le roman, Brainless s'apprête à vivre un moment important de sa vie d'adolescent : c'est la rentrée des classes, la première au lycée, une des dernières étapes à franchir avant d'entrer dans l'âge adulte. Mais, pour Brainless, cet aspect-là est sans doute moins présent que pour beaucoup de ses camarades, à Vermillion et ailleurs.

Car, quelques semaines plutôt, au début des vacances d'été, il est arrivé à Brainless quelque chose de pas banal. Participant à l'un de ces concours dont raffolent les Américains, le plus gros mangeur de maïs, Jason s'est étouffé et, par un funeste hasard, personne n'a pu le sauver. Il est mort, l'estomac plein de maïs, les doigts luisants de beurre...

... Avant de se réveiller à la morgue, une grosse heure plus tard, à la stupéfaction de tous. A commencer par le personnel médical, surpris de voir le garçon en vie, mais ne respirant plus, n'ayant manifestement plus aucun des signes physiques et physiologiques qui sont les marques de la vie biologique.

En un mot comme en cent, Brainless devenait un surnom qui allait comme un gant à Jason, transformé bien malgré lui et sans que personne ne puisse expliquer pourquoi, en zombie... Un gentil zombie, qui doit prendre soin de lui pour ne pas pourrir et évite de trop la ramener sur son état, mais un zombie quand même qui va devoir se fondre parmi ses camarades et reprendre une vie presque normale...

Une vie qui va devenir bien moins normale lors des terribles événements du 21 septembre...

Je n'en dis pas plus, même si on comprend quelle est la nature de ces événements dès les premières pages du roman. Car, il y a beaucoup à dire sur ce livre, qui joue avec plein de codes qui nous sont familiers. Un roman véritablement ancré dans une culture et un imaginaire collectif qui, de générations en générations, parle à chacun.

"Brainless", c'est un roman qui rappelle nombre de séries (y compris "Breaking Bad", par exemple) et de films américains, des teenage-movie se déroulant en milieu scolaire. Tout le livre ne se passe pas à l'école, mais le lycée de Vermillion est tout de même le décor principal de cette histoire. Autour de Brainless, on retrouve donc tous les archétypes classiques.

Il y a Ryan, qui est ce qui se rapproche le plus d'un ami pour Brainless, un ado obèse, sans cesse raillé par les autres et pas très fute-fute ; Cathy, la gothique, la rebelle mais qui reste en retrait, à l'écart, isolée et solitaire comme peut l'être Brainless ; Cassidy, la snobinarde, jolie mais peste, insupportable et méchante, chef d'une bande de filles comme elle et membre des pom-pom girls...

N'oublions pas Tom, le capitaine de l'équipe de foot, beau et costaud, un fantasme sur pattes pour demoiselles, mais qui s'avère moins caricatural qu'il n'y paraît. Un personnage intéressant, parce que, paradoxalement, il paraît ne pas forcément assumer son statut de sex-symbol et de garçon populaire pour qui l'image devrait primer sur tout le reste.

Et puis, il y a les enseignants, et là, c'est gratiné ! Ils sont menés par le proviseur Ortiz, un homme sévère comme un sous-officier et qui, disons-le clairement, déteste tout le monde, à commencer par les élèves dont il a la charge. Autour de lui, une équipe de professeurs qui fait son job comme une bande d'automates, ne nourrissant guère d'illusions sur l'attention qui sera porté à leurs cours...

Bref, la vie scolaire à Vermillion, c'est pas rose, si je puis me permettre... Voilà où débarque Brainless, jeune zombie pas encore complètement habitué à son nouvel état et qui espère finalement qu'on continuera comme avant à ne pas trop le remarquer. Déjà tout juste dans la moyenne auparavant, le voilà qui sait que son cerveau fonctionne moins bien qu'avant et que langage et mémoire ne seront pas ses principaux atouts.

"Brainless" est donc un roman de zombies, mais d'un genre particulier, vous l'aurez compris. Pas d'épidémie, mais une étrange maladie qui ne semble frapper que les adolescents. Jason est le 433e cas recensé aux Etats-Unis, c'est dire que c'est à la fois peu par rapport à la population, mais tout de même loin d'être négligeable.

Des zombies qui ne sont pas tous comme Brainless. Lui, c'est un cas léger, si on peut dire. En tout cas, si on ignore son état, on ne le devine pas du premier coup d'oeil. En cela, "Brainless" rappelle les romans de S.G. Browne, par exemple, ou la série britannique "In the Flesh", où les zombies sont intégrés à la société, même s'ils n'y sont pas considérés à l'égal des vivants et suscitent peur et rejet.

Le zombie devient donc l'incarnation de la différence, là encore, c'est finalement assez classique, surtout depuis la saga "Twilight", mais Jérôme Noirez s'en démarque nettement en choisissant une voix qui est, et c'est assez remarquable, à la fois pleine d'humour mais aussi très sombre. On va revenir à cet aspect dans un instant...

J'évoque les vampires créés par Stephanie Meyers, ils sont d'une certaine façon une métaphore de la race, de l'espèce. Brainless, lui, par plein d'aspects, évoque, de mon point de vue, le handicap. Il est lent, pataud, à part... Il ne correspond à aucun des canons d'une société dans laquelle le paraître prime sérieusement sur l'être.

Alors, oui, "Brainless" est un livre drôle, même si l'humour est volontiers assez noir. De part le personnage de Brainless lui-même, traité avec tendresse mais malmené par les circonstances. On le suit de deux manières : un récit à la troisième personne qui commence à la rentrée des classes et, en alternance, un récit à la première personne où Brainless raconte ce qui lui est arrivé cet été. Car la vie de zombie n'est pas simple.

Deux points de vue, deux façons de créer des situations comiques, même s'il ne s'agit pas non plus de déclencher des rires à gorge déployer. Le roman de Jérôme Noirez est plein de finesse, même lorsqu'il faut jouer avec l'état du pauvre Brainless. Et la scène où son état de mort-vivant apparaît clairement aux yeux de ses camarades est un parfait exemple de cela, à la fois cartoonesque et pourtant très juste.

Mais, on aurait tort de se concentrer uniquement sur Jason. Car, et c'est aussi là que Jérôme Noirez bifurque, "Brainless" est une espèce de fable dont la morale pourrait être : il faut toujours se méfier des apparences. Et l'on en revient à ce thème récurrent sur ce blog, décidément, à croire que je le fais exprès, des monstres visibles et des monstres réels.

L'état de Brainless fait de lui un monstre de facto. Son absence de respiration, de transpiration, son régime alimentaire à base de viande rouge crue, son odeur corporelle qu'il lui faut masquer, la froideur de sa peau, tout concourt à faire de lui un monstre aux yeux du commun des mortels ("mais n'oubliez jamais que c'est provisoire", pour reprendre ses mots cités en titre de ce billet).

Pourtant, autour de lui, les personnages aussi vivants que vous et moi (attendez, je vérifie, quand même... Oui... On dirait que ça a l'air d'aller...), sont pour la plupart des êtres odieux, dont certains qu'on pourrait aisément qualifier de monstres. Dans les personnages évoqués plus haut, on en trouve quelques-uns qui flirtent avec la monstruosité, par leur état d'esprit néfaste. Mais, les véritables monstres, je n'en ai pas parlé ici, vous les découvrirez en lisant le roman.

Enfin, il y a un aspect qui m'a frappé dans "Brainless", c'est l'omniprésence de la mort... Jérôme Noirez décrit une société où la mort est partout, dans la musique, les films, à la télé, le quotidien, les rêves, les références, partout, on en trouve la trace. Le romancier s'est d'ailleurs bien amusé dans ce domaine, en multipliant des allusions jusque dans le choix des chansons écoutées.

Brainless le premier répond à ce critère : sa chambre, avant même qu'il le devienne, était une sorte de paradis zombies : en bon ado américain, les murs de sa chambre sont tapissés d'affiches de films qui tous sont des films d'horreur... Une passion folle qui fait que, à un âge où on ne devrait pas l'autoriser à entrer dans une salle de cinéma projetant ces films, il en possède une connaissance encyclopédique.

Il n'est pas le seul, les exemples sont nombreux dans le livre et cela explique aussi sans doute le choix de situer son histoire aux Etats-Unis. Cathy, la jeune gothique, a baptisé son chat du nom d'un tueur en série particulièrement prolifique... Sans oublier un autre élément qui là, ne prête plus du tout à rire, malheureusement, et même si Noirez en fait un champ romanesque très bien exploité.

Cet élément, c'est ce qui se passe le 21 septembre, journée qui, pour la deuxième fois en quelques mois, va bouleverser la vie de Brainless. Sauf que, cette fois, il ne sera pas le seul concerné, c'est tou Vermillion qui va subir ce drame. Un drame, hélas, devenu presque habituel depuis deux décennies, ces fameuses tueries de masse qui frappe les écoles.

Je n'en dis pas plus sur les circonstances et, encore une fois, on découvre cela dès les premières pages du livre, Brainless y faisant références dans ses premières "confessions", pour reprendre le mot (qu'on croirait sorti d'une émission de télé-réalité) utilisé en titre des chapitres écrits à la première personne du singulier.

Là encore, on touche à cette adolescence qui baigne dans la violence, dans une ambiance mortifère et extrémiste, qui assimile mal tout un tas de discours politiques comme religieux, et trouve cette solution effrayante soit pour évacuer un mal-être incurable, soit, et c'est le plus effroyable, dans une quête de célébrité immédiate...

Je ne détaille pas plus, je vois que ce billet est déjà bien long, le reste est dans le livre. Et, pour boucler la boucle, oui, ce mal-être adolescent, la difficulté à se construire, pour tout un tas de raisons qui varient d'un jeune à l'autre, est l'axe principal de ce livre. Avec cette situation décalée : finalement, le zombie est celui qui se pose le moins de questions. Ne serait-il pas celui qui a le sort le plus enviable ?

Là, c'est moi qui force le trait, je le reconnais. Mais, il est clair que Brainless est un garçon tout à fait ordinaire, qu'il le reste même une fois mort et revenu à une vie qui n'est pas la nôtre, et que tout le reste s'organise en fonction de cela, pour bien nous montrer que celui qu'on pourrait tous montrer du doigt n'est pas, et de loin, le pire des êtres...

Eternelle histoire du vilain petit canard, même si je doute que Brainless puisse devenir cygne...

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