vendredi 29 juillet 2016

"Il était inutile de se voiler la face : nous venions de réveiller le démon".

Mais, je dois reconnaître que je ne m'attendais pas franchement à ce que le démon en question prenne cette forme-là... Voici un roman acheté à l'occasion de la Grosse OP des éditions Bragelonne. Un regard à la quatrième de couverture et au parcours de l'auteur, un titre qui m'a immédiatement fait penser à un classique de Roman Polanski, le Japon, sa complexité et sa culture fascinante... Attiré par quelques lignes, je me suis retrouvé emporté rapidement dans un tourbillon bien plus dense que je ne l'imaginais de prime abord. "Japantown", premier roman de Barry Lancet, et donc disponible chez Bragelonne, est aussi le premier volet d'une série mettant en scène le personnage de Jim Brodie, vendeur d'art à San Francisco, apparemment sans histoire. Un roman à grand spectacle, qui plonge le lecteur dans un univers oppressant et de plus en plus parano au fil des chapitres.



Jim Brodie est un marchand d'art dont la boutique se trouve à San Francisco. On y trouve toutes sortes d'objet de grande qualité et de grande valeur mais sa spécialité, ce sont les cultures et les arts asiatiques, et en particulier ceux du Japon. Il faut dire que ses liens avec le Pays du Soleil Levant sont très important, depuis toujours.

Brodie est né au Japon et y a passé les 17 premières années de sa vie. Son père, d'abord militaire, s'est pris de passion pour le pays et, après avoir quitté l'armée, s'y est installé à demeure et y a ouvert la première agence de détective privé du pays dirigée par un occidental. Rapidement, son entreprise a prospéré et a ouvert des succursales dans différents pays.

Dont les Etats-Unis. C'est Jim qui la dirige, comme il dirige toute l'agence depuis la disparition de son père. Mais, il a laissé les commandes de la maison-mère aux Japonais qui ont longtemps travaillé avec Brodie senior. Lui n'y consacre qu'un temps restreint, quand, par exemple, son ami Frank Renna, lieutenant au sein de la police de San Francisco, fait appel à lui pour des affaires en lien avec le Japon.

Ce soir-là, c'est sur les lieux d'un véritable carnage que Jim est appelé. Cinq personnes, dont deux enfants, toute une famille abattue en quelques secondes en plein coeur du quartier de Japantown. Une affaire qui sort de l'ordinaire, et pas seulement pour Brodie... Qu'en penser ? Crime de gang, acte raciste, geste d'un fou furieux voir d'un tueur en série ?

Bien peu de pistes apparentes, sur cette scène de crime, mais un indice qui, d'un seul coup, fait chanceler Jim Brodie. Sur une feuille imbibée du sang des victimes, un kanji, ces idéogrammes sur lesquels repose la langue écrite japonaise. Et, si l'antiquaire a tiqué en le voyant, c'est parce qu'il a déjà vu ce caractère...

Un souvenir encore terriblement douloureux, une blessure non refermée, puisque l'affaire n'a jamais été résolue. Retrouvé sur les lieux où sa femme est morte, dans un terrible incendie. La coïncidence est trop grande pour n'être qu'un hasard et, plus encore que d'habitude, Brodie décide de s'impliquer dans cette enquête...

Le hic, c'est que ce kanji n'existe pas. Ou, plus exactement, on ne le trouve pas parmi les dizaines de milliers de kanjis recensés par les dictionnaires. Impossible, donc, de savoir ce qu'il signifie exactement, pas sans faire des recherches approfondies. C'est bien peu, mais Brodie a de nombreux contacts en Amérique comme au Japon capables de l'aider...

Sans oublier l'irruption d'un homme d'affaires japonais, Hara, père d'une des victimes de Japantown, et qui souhaite que Brodie prenne les choses en main pour élucider rapidement ce crime horrible. Même si cette requête peut ressembler à un conflit d'intérêt, Brodie a suffisamment de motifs personnels de se consacrer à cette affaire sans s'embarrasser de telles considérations.

Débute ainsi une enquête qui va devenir de plus en plus personnelle au fil des découvertes. Mais surtout de plus en plus dangereuse et violente. Et, pour Brodie, le début d'un nouveau cauchemar qui, s'il en sort vivant, pourrait enfin apporter les réponses aux questions qu'il rumine depuis des années maintenant.

J'évoquais en préambule un classique du cinéma, évidemment, je pensais à Chinatown et au fameux pansement que Jack Nicholson arbore sur son nez. Mais, si le film est un hommage appuyé aux films noirs des années 1940, "Japantown" est un pur thriller qui va crescendo jusqu'à devenir impossible à refermer, une fois qu'on est lancé.

Au centre de cette histoire, on a donc un antiquaire, je simplifie, mais c'est un peu ça. Bref, Brodie n'a pas franchement le profil du héros hollywoodien habituel. Son passe-temps favori, c'est la restauration d'objet d'art japonais et cela demande plus de patience, de doigté et d'habileté que de force physique et de courage.

Mais, il est aussi le digne fils de son père, malgré tout ce qui les a séparé durant de longues années. "Kaeru no ko wa kaeru", est-il écrit à son sujet dans le roman : "le rejeton d'une grenouille ne peut être qu'une grenouille", en français dans le texte, autrement dit, la version nippone de l'adage "tel père, tel fils".

Avant de couper les ponts avec son père, Jim a eu l'occasion d'apprendre le b.a.-ba du métier de détective. Pour autant, ce n'est pas son activité première, c'est plus un amateur éclairé, on va dire. Et, au cours de cette enquête, qui va se dérouler entre Amérique et Japon, c'est insuffisant pour affronter un adversaire terriblement puissant.

Poussé par des motivations très profondes et très personnelles, Jim Brodie va pourtant voir son courage et sa détermination décuplés. Mais, en se jetant ainsi dans la bataille sans maîtriser totalement son sujet, il risque aussi de commettre des erreurs aux graves conséquences. L'aide des hommes de son père, Shig Narazaki, l'associé de son père, et Kumio Noda, l'homme de confiance et l'homme de main.

Alors, de quoi s'agit-il, exactement ? N'insistez pas, je n'entrerai pas dans le détail. Toutefois, sachez que certains éléments à venir dans ce billet pourrait en dévoiler un peu trop aux yeux de certains lecteurs très à cheval sur les spoilers (mais si vous êtes dans ce cas, que faites-vous sur ce blog ?). Car, il y a des éléments dont il nous faut parler.

Au fil des billets, j'ai parfois l'impression de radoter, et sévèrement. Et ce n'est pas en parlant de "Japantown" que cette impression va s'atténuer. En effet, reparlons de cette dichotomie très présente, encore une fois, entre l'ultra-modernité du Japon et cette culture ancestrale toujours extrêmement présente, même dans une mégapole du XXIe siècle, comme Tokyo.

Mais, Barry Lancet pousse le mariage un cran plus loin de l'habitude. Le Japon moderne, qui a fait de l'archipel une puissance incontournable à l'échelle mondiale, on l'a, avec Hara. Et puis, il y a une étonnante résurgence du Japon féodal qui devient l'une des composantes majeures de ce thriller. Laquelle, vous le saurez en lisant le livre, évidemment.

Je suis bien embêté, j'aimerais développer cet axe, mais c'est délicat. Oh, allez, on se lance, si vous aimez la baston, les ninjas, les scènes très visuelles et très chorégraphiées, ce roman est vraiment pour vous. D'un seul coup, l'action s'emballe et on se retrouve avec, sous les yeux, quelques scènes d'anthologie qu'on verrait bien au cinéma.

Je me disais d'ailleurs en lisant "Japantown" (dont, je crois, les droits ont été achetés par J.J. Abrams, mais plus dans l'optique d'une série télé, il me semble) qu'un Takeshi Kitano, par exemple, pourrait transformer ce roman en un film incroyable, bourré d'adrénaline et servi par une mise en scène extrêmement visuelle, dans la droite ligne du cinéma asiatique qu'on connaît depuis les années 1990.

Je pense en particulier à une scène nocturne située au coeur du roman, dans un contexte angoissant, mais aussi à un dénouement plein de rebondissements. Je ne suis pas forcément fan de ce genre de final, un peu à tiroirs, mais ici, il apporte de l'eau au moulin de l'intrigue, rajoutant au sentiment paranoïaque qui s'instaure rapidement, au fil des événements.

Là encore, compliqué d'aller plus dans le détail. Mais, cette oppression qu'on ressent est une des vraies réussites du livre et tient à l'adversaire que Brodie doit combattre et qui se dévoile petit à petit. La menace est là, partout, invisible, foudroyante, avec un pouvoir de nuisance certain... Impression renforcée par la narration à la première personne du singulier par Jim Brodie lui-même.

Un dernier mot sur Barry Lancet. Car, à me lire, vous vous dites peut-être que l'argument japonisant risque d'avoir un côté un peu gadget ou que, comme dans "Soleil Levant", de Michael Crichton, la différence culturelle s'assimile vite au clivage gentils/méchants. Avec "Japantown", c'est sensiblement différent.

D'abord, par la personnalité de l'auteur, qui partage sa vie entre l'Amérique, son pays natal, et le Japon, où il s'est installé il y a près de 30 ans. Il y a travaillé pour des maisons d'éditions et a pu ainsi approfondir sa connaissance de la culture nippone, dans des domaines extrêmement variés, allant de la philosophie à la cuisine et des arts martiaux aux jardins, par exemple...

Lancet est donc un parfait connaisseur des us et coutumes du pays, tout en conservant son regard occidental. Et, si son parcours personnel est très différent de celui de son personnage principal, Jim Brodie, on sent bien que la personnalité de ce dernier est nourrie abondamment de toutes ces expériences et de cet apprentissage.

"Japantown" est le premier roman d'une série qui, à l'heure actuelle, compte trois titres (en plus de "Japantown", Bragelonne a déjà publié "Tokyo Kill", en attendant certainement prochainement "Pacific Burn"). Avec, à chaque fois, un Brodie qui doit se démener pour se sortir de gros, gros problèmes (et je suis poli !).

La lecture de Japantown a été un très agréable moment. J'ai d'abord été surpris, parce que je m'attendais à partir dans d'autres directions que celle adoptée. Mais, l'adversaire que combat Brodie est très impressionnant et très original, et cette lutte pleine d'intensité et de danger tient en haleine d'un bout à l'autre. Surtout si on n'a pas un fil à couper le beurre qui traîne dans un de ses tiroirs...

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire