samedi 22 octobre 2016

"Chapeau bas, Messieurs, un génie !" (Robert Schumann).

Avouez que le compliment n'est pas mince, surtout lorsqu'il émane d'un musicien aussi talentueux que Robert Schumann... Celui qui reçoit un tel éloge est un autre pianiste, dont le destin tragique est au coeur de notre livre du jour. Vous connaissez tous son nom, certains morceaux qu'il a composé. Ses origines, sa vie, son peut-être moins connues. Des biographies de Frédéric Chopin, c'est donc de lui dont il s'agit, il en existe sans doute beaucoup. En voici une qui adopte le ton romanesque pour retracer le parcours éclair de cet homme passionné, rongé par la maladie, à la vie tourmenté, tant professionnellement que sentimentalement. "Frédéric, le roman de Chopin", de Gilles Laporte (paru chez ESKA/MA Editions), revient sur ce destin qui semble épouser parfaitement la définition du romantisme. Et ceux qui connaissent l'auteur et son oeuvre ne seront pas surpris, la Lorraine et les femmes sont très présentes dans ce livre...



Le 1er mars 1810, à Zelazowa Wola, en Mazovie, Fryderyk Franciszek Chopin. Nicolas, son père, Lorrain d'origine, a quitté la France en 1787 pour venir vivre en Pologne, où il gagné sa vie comme percepteur, et sa mère, Justyna, qu'il a rencontrée lorsqu'il travaillait pour la famille Sharbek. Il est leur deuxième enfant et leur seul garçon.

La famille s'installe à Varsovie, Nicolas, devenu Mikolaj, enseigne le français, mais Frédéric, lui, se sent Polonais, dans une période où le pays peine à exister, régulièrement envahi par ses encombrants voisins, Autrichiens et Russes en alternance... Tout en commençant sa carrière musicale, c'est donc un garçon concerné par le sort de sa Nation que l'on découvre, qui s'engage pour la Pologne.

Et, en 1830, lorsqu'il quitte son pays natal, tombé aux mains des Russes, il sait que c'est pour longtemps, peut-être pour toujours... Malgré tout, il restera Polonais dans l'âme, entretenant la flamme avec des amis d'enfance et des compatriotes eux aussi en exil à Paris et qui l'accompagneront au long de son existence.

Mais, Chopin a beau être considéré comme un virtuose hors norme, un génie, même, par nombre de ses contemporains, il lui faut travailler énormément pour vivre décemment. Un rythme de vie qui n'est pas favorable à sa santé fragile. Depuis longtemps, Frédéric tousse, mais hors de question de parler de phtisie, non, ses problèmes n'ont rien à voir...

Drôle de façon d'exorciser le mal qui va le ronger lentement et finira par l'emporter, comme il emporta sa jeune soeur, Emilie, en 1827... Suivre la vie de Chopin, c'est aussi suivre l'évolution de cette maladie pernicieuse, en une époque où l'on meurt encore souvent très jeune. La vie de Chopin sera marquée par ces morts prématurées et par l'épée de Damoclès que représente la maladie...

La famille, la nationalité, la musique, la santé... Il faut maintenant parler des femmes. On pourrait s'imaginer le ténébreux Frédéric en séducteur invétéré, ce n'est pas le cas. Il est timide, notre Frycek (son diminutif), mal remis de premiers émois douloureux, lorsqu'il était encore en Pologne. Chat échaudé craint l'eau froide, il est assez prudent, désormais, lorsqu'il s'agit de sentiments...

Et, lorsqu'on évoque le compositeur, bien sûr, on l'associe à George Sand... Evidemment, ce fut la plus longue relation de sa vie, passionnée, mouvementée, tumultueuse, douloureuse... Mais surtout, très longue à naître. Car, si l'écrivaine a été rapidement séduite par Chopin, elle a dû faire le forcing, pardonnez-moi cette expression, pour le conquérir...

La liaison entre Chopin et Sand est un des éléments centraux du roman de Gilles Laporte, on s'en doute, mais ne vous attendez pas à une romance lisse et douce, c'est un vrai chemin cahoteux que les deux amants ont suivi, pendant une décennie, malgré un attachement sincère et réciproque. D'idylle, il n'y eut pas vraiment, en tout cas, pas celle que peut véhiculer l'imaginaire collectif, romantique en diable...

A l'image du fameux séjour à Majorque, qui n'eut rien d'une sinécure, dans tous les sens du mot. Que dire de ce voyage, censé apporter calme et sérénité aux deux artistes, permettre à Chopin de composer et à Sand d'écrire, mais aussi de ménager la santé du pianiste ? Ce fut un vrai cauchemar où rien ne se passa comme espéré...

Là encore, il faut oublier toute dimension romantique à ce séjour, tant l'île et ses habitants vont se montrer hostiles. L'accumulation des soucis est ahurissante, j'en sourirais presque rien que d'y repenser, alors que ça n'a rien de drôle. George Sand va maintenir à flot sa maisonnée pourtant sévèrement secouée par les événements et sa forte personnalité empêcha sans doute le pire.

Mais je dois dire que, sur la durée, le portrait que fait Gilles Laporte de George Sand est assez terrible ! Un vrai tyran domestique ! Son caractère, on l'imagine, était très fort, anticonformiste, sans complexe, se moquant du regard des autres. A côté d'elle, Frédéric Chopin, déjà très affaibli par la maladie et tourné entièrement vers la musique, fait pâle figure.

Dans la dernière partie de leur relation, c'est un personnage dur, insensible, intransigeant que l'on découvre. Et pas seulement avec Chopin, mais avec tout le monde, y compris ses proches, sa fille, en particulier. Mais, la rupture, inévitable, n'arrangera rien et, dans les derniers mois de la vie du musicien, elle conservera cette posture très brutale...

Mais Gilles Laporte est un malin : décrire ainsi un personnage féminin, cela ne lui convient pas, mais pas du tout ! Alors, il fait de l'auteur de "la Mare au diable", par exemple, un personnage ambivalent, sorte de Janus littéraire : lorsqu'elle se montre chaleureuse et aimante, elle est Aurore, lorsqu'elle devient impossible, aigrie, méchante, presque, alors, c'est George qui parle...

Masculin-féminin, l'ambiguïté dans laquelle la romancière a voulu s'établir joue à plein sous la plume de Gilles Laporte. George Sand semble habitée par ces deux personnalités diamétralement opposées qui s'affrontent en elle, en une époque où être femme n'a rien de facile... Mais quelle dureté, pour finir, quelle inexplicable posture !

Pour être honnête, George Sand n'est pas la seule à en prendre pour son grade : Marie d'Agoult, l'épouse de Franz Liszt, a elle aussi droit à un traitement de faveur... Jalouse, aigrie, elle aussi, elle joue les commères avec perfidie dans sa correspondance et n'épargne pas Chopin et Sand, pourtant parmi ses plus propres amis...

Pour autant, n'allez pas croire qu'il y a le martyr Chopin et les horribles harpies. C'est plus délicat que cela, évidemment. Mais, force est de reconnaître que sa vie amoureuse fut difficile, pleine de revers et de déceptions, et qu'on ressent, finalement, une grande solitude chez cet homme, qui ne réussira jamais à s'épanouir dans sa vie sentimentale.

Les femmes sont toutefois très présentes, dans le livre. J'ai un peu construit ce billet à l'envers, comme un entonnoir renversé, mais je reviens donc à des éléments qui apparaissent rapidement : Gilles Laporte a choisi de donner à ses chapitres le nom de femmes marquantes dans l'existence de Frédéric Chopin.

Des parentes, à commencer par sa mère mais aussi sa soeur Ludwika, la seule présente au début et à la toute fin de l'existence de Chopin, des proches, des amies, des amoureuses, qu'il ait pu nouer ou non de liaison avec elles... Toutes ont été présente au fil de la courte existence du musicien, mort à 39 ans seulement, emporté par cette impitoyable tuberculose...

N'imaginez pas pour autant Chopin vivant entouré de femmes et seulement de femmes, il a aussi ses amis proches, dont Eugène Delacroix et ses amis de jeunesse, originaires comme lui de Pologne. La maladie affaiblira aussi sa vie sociale, mais le Chopin qui débarque à Paris juste après les Trois Glorieuses, cette révolution de 1830 qui met fin au règne de Charles X, est un joyeux luron.

L'image, là encore, j'insiste, très romantique, du musicien souffreteux et dévoré par le mal, pressé de composer avant l'inéluctable et fatale échéance, a quelque chose de vrai, mais elle occulte une personnalité qui aurait certainement été bien différente s'il avait été en bonne santé sur une plus longue période.

Je continue ma progression à rebours sur le livre de Gilles Laporte. Avec la dimension lorraine. Gilles Laporte est Lorrain, Vosgien et fier de l'être. Et, outre, j'imagine, une admiration pour le musicien et le compositeur que fut Chopin, c'est pour une autre raison qu'il s'est attelé à raconter la vie du pianiste : parce que ses racines sont en Lorraine.

"Frédéric, le roman de Chopin" ne commence pas à la naissance du musicien, ou juste un peu avant. Non, le livre débute en... 1705, plus d'un siècle avant ! Gilles Laporte a fait le choix de retracer toute l'histoire lorraine de la famille Chopin, qui commence donc au début du XVIIIe siècle, à l'arrivée d'un certain François, dont le patronyme varie, de Chapin à Chappenc mais finira par se fixer en Chopin.

Venu du Dauphiné, l'homme est un contrebandier, venu en Lorraine, qui est alors un Duché indépendant, pour y organiser un trafic de tabac avec la France ! Eh oui, le génial pianiste a eu pour ancêtre un bandit ! Mais, il fonda aussi une famille et, au cours du XVIIIe siècle, celle-ci va connaître une lente mais réelle ascension sociale qui nous est racontée dans la première partie du roman.

Quand je dis roman, évidemment, je devrais plutôt dire "biographie romanesque". Il y a, derrière ce livre, un important travail de recherches, et Gilles Laporte a choisi d'intégrer à son récit des passages entiers de correspondances, émanant de différents personnages, dont Chopin lui-même, tout en racontant à sa manière la vie du compositeur.

J'ai d'ailleurs trouvé le style de Gilles Laporte très dynamique. Beaucoup de phrases très courtes, l'impression, par moment, de voir les mots venir au rythme des doigts de Chopin sur le clavier, une vivacité présente d'un bout à l'autre du récit et qui est très agréable à lire. On se dit aussi qu'on a là une vie qui s'égrène comme si on voyait le sable s'écouler dans un sablier...

L'urgence, l'urgence d'une vie qu'on sait d'emblée très courte, trop courte. Il faut agir vite, même lorsque rien ne va. Lorsque la toux et la fièvre terrasse l'homme, lorsque le moral flanche, que les mauvaises nouvelles s'accumulent. Et puis, toujours, c'est la musique qui relance tout, comme un ichor merveilleux coulant dans ses veines malades et lui redonnant un semblant de vie.

Et n'oublions pas la musique de Chopin. Comme je l'ai fait récemment à propos d'un roman consacré à Jean-Sébastien Bach, je vous encourage à lire en musique, au gré des compositions évoquées dans le récit. Une musique extraordinaire, dans laquelle il a parfaitement su retranscrire ses émotions et nous en donner, tellement...


Mais c'est avec une image, qu'on va finir. Celle de la statue de Chopin, érigée dans le Parc Lazienki, à Varsovie. On la doit au sculpteur Waclaw Szymanowski et c'est un des moments les plus visités de la capitale polonaise. Une statue qui possède également une incroyable histoire et qui représente le compositeur à l'ombre d'un saule rappelant la main d'un pianiste en train de jouer...


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