lundi 21 novembre 2016

"Il me semble parfois avoir démontré qu'entre la célébrité et l'infamie il n'y a qu'un pas, et peut-être moins" (Oscar Wilde).

On aurait pu ressortir le fameux quart d'heure d'Andy Wahrol, mais, aujourd'hui, les aspirants stars espèrent l'être bien plus longtemps (et le sont, en général, bien moins). Devenir célèbre, sans que le pourquoi ait une quelconque importance, est devenu une activité prisée, pour le meilleur mais le plus souvent pour le pire. Voici un roman qui est une satire de cette course à la célébrité et qui la propose sous une forme originale : le giallo. Vous ne connaissez pas ? Explications dans la suite de ce billet, consacré au nouveau roman du jeune et talentueux écrivain argentin Leandro Avalos Blacha. "Malicia", qui vient de paraître aux éditions Asphalte (traduction : Hélène Serrano). Pas de zombies, comme dans l'excellent "Berazachussetts", mais le même esprit plein d'ironie et de fantaisie pour un court roman enlevé et bourré de clins d'oeil au cinéma et à la littérature horrifique. C'est atroce, et on ne peut s'empêcher de rire aux déboires de personnages tous dépassés par les événements qui vont secouer une paisible station balnéaire.



Juan Carlos et Perla ont récemment convolé en justes noces. Pour fêter cet heureux événement, les jeunes époux ont décidé de partir en lune de miel à Villa Carlos Paz, une coquette station balnéaire de la province de Cordoba, en Argentine. Un lieu qui a des faux air d'Atlantic City, avec ses casinos, ses luxueux hôtels, ses théâtres proposant d'incroyables revues...

Mais le couple n'est pas parti seul : le marié a tenu à emmener avec lui son meilleur ami, Mauricio, qu'il connaît depuis l'enfance. Bon, meilleurs amis, c'est peut-être un peu exagéré... Juan Carlos a toujours joyeusement profité de Mauricio, fils d'un commerçant tenant une boutique émettant des billets de loterie. L'activité principale de Juan Carlos et de sa mère, Élida.

Même ce mariage, conclu rapidement, semble avoir été décidé en fonction de cette passion dévorante pour le jeu. Perla, pourtant, ne semble pas se soucier de ces raisons et paraît s'accommoder de son nouveau statut de jeune mariée. Pour être franc, Perla est le genre de personne qu'on ne remarque jamais, qu'on oublie aussi vite qu'on l'a vue...

Cependant, si elle ne possède en apparence aucun talent particulier, Élida a su détecter chez elle quelque chose qui l'a poussée à hâter l'union de son fiston chéri avec Perla, à la surprise générale. Et, ce quelque chose, ce n'est pas rien : une méthode infaillible pour assurer à la petite famille, époux, enfant(s) à venir et belle-mère, une opulence sans fin...

Marta est médium. Une médium anonyme qui rêve de devenir "la médium des stars". Avec ça, fortune et célébrité assurées ! Pour cela, elle s'est dit que Villa Carlos Paz serait un lieu idéal. C'est en effet là que se produit Vilma Menta, la fameuse meneuse de revue, dont l'habitude est de faire monter sur scène un spectateur pour en faire la star d'un jour. Si seulement Marta pouvait être choisie !

Celina est une jeune fille venue à Villa Carlos Paz avec ses parents. C'est une enfant timide, introvertie, discrète. Bien loin des extravagances des cabarets de la station balnéaire. Une petite fille sage comme une image qui fait la fierté de ses parents. Enfin, jusqu'à maintenant... Jusqu'à ce que la fièvre de la célébrité la contamine à son tour...

Estela est une retraitée venue passer un bon moment à Villa Carlos Paz, comme tant d'autres retraités. Mais, si l'endroit lui plaît, parce que c'est une jolie station balnéaire, elle goûte moins les activités qui y sont proposées. Le vice et le mauvais goût sont partout, dans ces casinos, sur ces scènes de théâtre... Non, vraiment, rien de tout ça n'est fait pour Estela...

Tout ce petit monde profite donc de ces quelques jours dans ce petit paradis terrestre, qui va pourtant connaître un gros choc. Une série de meurtres atroces, sans doute l'oeuvre d'un tueur en série, et de la pire espèce. Ses cibles : des actrices, déjà célèbres ou en passe de le devenir dans tout le pays. Et un début de psychose qui gagne...

Jusqu'ici, cela ressemble à un thriller assez classique avec l'ombre d'un impitoyable serial killer. C'est vrai, mais la tonalité générale du roman, teinté d'ironie et d'humour, des personnages décalés, certainement pas des héros en puissance, tout juste des antihéros, assez pénibles pour certains, tout cela crée une atmosphère proche de la comédie noire.

Et puis, au détour d'un couloir, tout bascule. La raison de ce brusque changement, je ne vous la raconterai pas ici, mais elle met en scène un certain nombre de personnages déjà évoqués. Un événement suffisamment bizarre pour que le lecteur marque une pause et se dise : "Wow, je ne suis pas dans un thriller assez classique, là !"

Eh non ! Le fantastique débarque alors en force, amenant dans son sillage un autre élément qui va bientôt prendre le dessus : l'horreur. Qui a lu "Berazachussetts", par exemple, sait que, chez Leandro Avalos Blacha, l'horreur et le gore confinent vite au grand-guignol. On va peut-être avoir quelques moues de dégoût, mais ce sera certainement entre deux éclats de rire.

La paisible station balnéaire de Villa Carlos Paz va rapidement la perdre, la paix. Les événements les plus étonnants vont se produire alors que souffle un vent de folie furieuse. Et de nombreux masques vont tomber, car il s'en passe de belles, au bord du lac San Roque ! S'il reste assez de survivants, nul doute qu'ils auront droit à leur quart d'heure de célébrité et même plus !

Avec "Malicia", Leandro Avalos Blacha rend hommage à un genre très particulier : le giallo. Au départ, il s'agit de romans policiers tout ce qu'il y a de plus classiques, publié sous une couverture de couleur jaune ("giallo", en italien). Mais, ce n'est pas cela qui va nous intéresser. C'est plutôt sa déclinaison cinématographique...

Dans les années 1960, des réalisateurs italiens s'emparent du genre, conserve le côté intrigue policière mais lui adjoignent quelques autres ingrédients qui vont bientôt valoir à ce genre une renommée mondiale : l'horreur, vous vous en doutiez déjà, et l'érotisme. Parmi les fers de lance du giallo, deux noms se détachent : Mario Bava et Dario Argento, qui vont lui donner des lettres euh... pas vraiment de noblesse, en fait...

Leandro Avalos Blacha multiplie d'ailleurs les références à ce genre si particulier tout au long de son roman, mais aussi à quelques classiques comme "l'Exorciste" ou "Rosemary's baby". D'une revue centrée sur le personnage de Batman aux tableaux d'un kitsch absolu, l'histoire va alors partir en sucette pour notre plus grand plaisir.

Je ne suis pas moi-même un grand connaisseur du giallo, certainement moins que d'autres lecteurs. Mais, j'ai reconnu pas mal d'éléments qui m'ont rappelé des images, croisées ça et là, des extraits de films vus à la télé... C'est gratiné, c'est délirant, c'est joyeusement n'importe quoi, mais quelle importance, on s'amuse et c'est le principal.

Ca part un peu dans tous les sens, mais ça se tient. De toute manière, le parti pris est d'emblée gentiment loufoque, alors, on reste dans l'ambiance. Et l'histoire va crescendo, multipliant les péripéties et les situations plus ou moins sombres, plus ou moins folles, jusqu'à un dénouement en forme de bouquet final.

Tous les ingrédients du giallo sont là, même si certains, après ce que je viens d'en dire, trouveront peut-être que ça manque un peu d'érotisme... Bande de petits coquins ! Le reste est là, et permet à l'auteur de mettre en relief un des plus grands travers de notre époque : la soif de célébrité, le fait qu'on en face un but ultime sans se demander si la manière d'y arriver est la bonne.

Derrière la littérature de genre, on retrouve la remarquable sagacité de Leandro Avalos Blacha, son sens de l'observation aiguisé qui font de lui un formidable satiriste. Bien sûr, on peut s'arrêter à une lecture primaire de "Malicia" et n'y voir qu'une farce horrifique et grand-guignolesque. Mais, il me semble que, comme "Berazachussetts" n'est pas un simple roman de zombies, ce livre est plus que ce qu'il paraît être.

Je cite souvent le premier roman de l'auteur, mais c'est parce que je trouve que "Malicia" est dans sa parfaite continuité, entre drôlerie et véritable réflexion en profondeur. Mais, autant les zombies servaient à dénoncer les travers de la société argentine du début du XXIe siècle, autant ce nouvel opus s'adresse à tout le monde, car partout, la célébrité est devenue un idéal qu'on poursuit pas n'importe quel moyen...

Un dernier mot sur un personnage que je n'ai pas encore évoqué. Il est, certainement, le plus décalé de toute la bande : le commissaire Di Luca. Eh oui, le flic, puisqu'on a une intrigue policière dans ce livre. C'est un vieux de la vieille, une espèce de Colombo argentin (je parle surtout de son allure), aussi peu à sa place à Villa Carlos Paz que le célèbre lieutenant à l'imper dans les quartiers chics de Los Angeles.

Il est dépassé, out, complètement obsolète dans ce décor de strass et de paillettes, mais il le sait. Il ne comprend rien à ce qui se passe, mais il ne se décourage pas, mène son enquête, avec pragmatisme et détermination. Et, mine de rien, dans ce gigantesque barnum, il va tirer son épingle du jeu. Sans doute parce qu'il est le seul capable de garder son sang-froid dans cette tourmente...

Je l'aime bien, ce flic. J'aurais aimé le voir à l'oeuvre en d'autres circonstances, lorsqu'il était encore jeune, sémillant, pas complètement blasé et usé sous le harnais. Je suis certain qu'il a résolu bien des affaires, parmi les plus épineuses. Reste à savoir si les événements de Villa Carlos Paz seront un couronnement pour sa respectable carrière, ou la pire chose qui puisse lui arriver...

Je suis très friand de ce que fait Leandro Avalos Blacha, de ce cocktail détonant entre folie (plus ou moins) douce et réflexions sociétales pertinentes. Après "Berazachussetts" et "Côté cour" (à l'ambiance plus sombre mais tout aussi créatif et intelligent), le revoilà au meilleur de sa forme, avec une histoire spectaculaire et déjantée, à consommer sans aucune modération.

Je sais que les mots "horreur", "horrifique" risquent de freiner certains lecteurs. Mais ne craignez rien : "Malicia entre plutôt dans la catégorie de ces films gore qu'on regarde le samedi soir, entre potes, avec du pop-corn, pour passer un bon moment de rigolade. Oui, c'est violent, ça saigne, mais ça n'a rien de cauchemardesque, au contraire, on en ressort ragaillardi, parce qu'il est bon de rire, parfois.

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