dimanche 12 mars 2017

"Le sacrifice, Robert, voilà le prix d'un bon tour…" (Christian Bale, dans "Le Prestige").

J'ai préféré créditer la phrase de titre au film de Christopher Nolan, car je ne suis pas certain qu'elle apparaisse ainsi dans le roman d'un autre Christopher, Chris Priest. Mais, on va parler magie, vous l'aurez compris, avec une série qui a débuté à l'automne dernier et dont le deuxième volet vient de paraître. Après "Metamorphosis", voici la deuxième enquête de Houdini, "magicien et détective". Elle est intitulée "Le Kaiser et le roi des menottes", toujours signée Vivianne Perret et toujours publiée aux éditions du Masque. On retrouve un mélange réussi entre contexte historique, magie et enquête policière pleine de rebondissements, mais l'on change de point de vue, puisque l'on quitte l'Amérique pour revenir dans la vieille Europe, et pas n'importe où : dans une Allemagne dont les positions et les actes commencent à inquiéter.



Houdini est désormais une star à travers le monde. Ses numéros d'escapologie, toujours plus perfectionnés et impressionnants attirent les foules. Et l'assurance de ce succès, c'est de ne jamais se reposer sur ses lauriers : Houdini cherche toujours de nouvelles idées, travaille à la mise au point de nouveaux numéros toujours plus spectaculaires, avec l'aide de son épouse, Beth, et de son assistant, Jim.

A l'automne 1900, après une tournée américaine triomphale, il décide de se rendre en Europe. Et de débuter cette nouvelle aventure dans un endroit particulier : Berlin. Rappelons que Houdini, bien qu'il se prétende le plus souvent américain d'origine, est né en Hongrie, dans une Europe centrale sous forte influence germanique.

Comme d'habitude, en dehors de la scène, il a dû démontrer ses talents, et c'est passé par un commissariat, où il a réussi à défaire chaînes et menottes avec une facilité déconcertante. Mais, il est tout de même possible de surprendre le magicien. Celui qui va réussir cet exploit s'appelle Friedrich Alfred Krupp, chef de la plus puissante famille industrielle du pays.

Peu avant la première représentation berlinoise, Krupp invite Houdini à venir se produire chez lui, à la villa Hügel, près d'Essen, en plein coeur de la riche Ruhr et de son bassin houiller. Houdini est tenté de refusé, mais le ton n'est pas loin d'être comminatoire. Enfin, un argument va emporter la décision du magicien : Krupp a organisé ce spectacle privé pour un invité de marque, le Kaiser en personne.

Mais, sur place, Houdini se rend compte qu'une fois encore, on souhaite le mettre au défi, et pas seulement admirer ses talents. Dans la villa Hügel se trouve une chambre forte dernier cri, l'ancêtre de ce qu'on appellera bien plus tard les "panic-rooms". Ce modèle a la réputation d'être absolument inviolable, et le challenge d'Houdini est de démontrer le contraire.

Au magicien de se surpasser pour que sa réputation ne paraisse pas usurpé aux yeux de deux des personnalités les plus puissantes au monde, le Kaiser Guillaume II, et l'industriel Krupp. Houdini se met en condition, commence à examiner de près les mécanismes de la porte blindée quand Krupp remarque que le mécanisme est enclenché, ce qui ne devrait pas être le cas.

On fait alors ouvrir la porte... et un corps tombe au pieds des prestigieux personnages. Une jeune femme, morte. Et, de toute évidence, elle était vivante quand on l'a enfermée dans la chambre forte, où elle a dû agoniser plusieurs jours. Le choc est énorme et les interrogations nombreuses : de qui s'agit-il ? Que fait-elle là ? Qui a pu ouvrir la chambre forte ? Quelque chose a-t-il été volé ?

Présent dans la villa, le Kriminalkommissar Leopold von Meerscheidt-Hüllessem se retrouve aux commandes d'une enquête particulièrement délicate. Plutôt sympathique avec Houdini dans un premier temps, le limier change alors d'attitude : vu les circonstances du drame, le magicien ferait un coupable parfait...

Ainsi accusé, Houdini doit réagir. Démontrer son innocence n'est pas très difficile, il n'a pas pu être à Essen au moment où la jeune femme s'est retrouvé dans la chambre blindée. Mais, pour éviter tout fâcheux malentendu, il va devoir revêtir une nouvelle fois son costume de détective pour comprendre ce qui s'est passé chez les Krupp et pourquoi.

Allemagne, 1900... Date charnière et personnalités marquantes : Krupp, d'un côté, fer de lance d'un empire industriel reposant sur l'acier (la matière première parfaite pour fabriquer de l'armement en grande quantité) et le Kaiser Guillaume II, un chef d'Etat aux visées impérialistes très affirmées... Une alliance "gagnante-gagnante", dirait-on de nos jours, et la première étape vers un XXe siècle pour le moins tourmenté.

Houdini arrive dans ce contexte européen sous tension et se retrouve illico confronté à un crime se déroulant quasiment au coeur du pouvoir... Pas simple... Mais ce n'est pas la seule dimension importante de cette deuxième enquête d'Houdini. Berlin, c'est un retour aux sources, pour le magicien, une manière de renouer avec ses racines familiales.

Rien d'évident, quand on est fils d'un rabbin de Budapest, dans un empire austro-hongrois sur la pente descendante devant l'expansion manifeste de son voisin prussien. Cette quête sera plus forte encore, je pense, dans le troisième volume, annoncé pour l'automne prochain, puisque Houdini sera à Budapest, là où il est venu au monde... Où il s'est initié à la magie, également.

Revenons au contexte historique. Vivianne Perret, historienne de formation, a choisi d'imbriquer ses intrigues avec un contexte historique fort. Cela passe aussi par les personnages, j'ai évoqué les trois principaux depuis le début de ce billet : le Kaiser, peu présent dans les faits, mais forcément important, Krupp et aussi von Hüllessem (eh oui, il a vraiment existé !).

On pourrait ajouter Berlin dans cette partie sur le contexte général. La capitale allemande est, d'une certaine manière, plus qu'un simple décor. Un décor parfaitement reconstitué, car cette ville n'existe plus, détruite par les bombardements de 1945, mais qui laisse entrevoir la puissance de cette Allemagne au tournant du XXe siècle.

A travers la vie culturelle à laquelle vient participer Houdini (salles de spectacles, musées, conservatoire...), mais aussi à travers les hôtels, les restaurants, tout montre une ville au comble de la modernité, un pôle incontournable dans une Europe en pleine mutation. L'entrée dans une nouvelle ère, ce que Houdini recherche lui aussi pour l'art qu'il exerce.

A l'image de Frédéric Lenormand, évoqué dans un précédent billet, Vivianne Perret propose en fin d'ouvrage une annexe fort intéressante pour remettre les épisodes intégrés à son intrigue dans leur contexte. Et l'on en apprend de belles, dans ce volume ! Et de tristes, aussi... Mais n'en disons pas plus, à vous de jouer !

Et puis, forcément, il y a la magie, ingrédient indispensable de cette série. N'attendez pas une série fantastique, Houdini n'est pas doté de pouvoirs particuliers, mais son métier d'illusionniste lui donne quelques avantages sur le commun des mortels, et pas seulement pour se libérer de n'importe quelle entrave. Il connaît tous les trucs, c'est le cas de le dire, et sait les appliquer en situation.

Mais surtout, sa carrière entre en résonance avec ses enquêtes. Comme dit plus haut, il cherche toujours le tout qui fera de lui le plus grand magicien de tous les temps (un orgueil qu'on retrouve d'ailleurs à certains moments dans les romans de Vivianne Perret et qui finira probablement pas causer sa mort). Et s'échapper de lieux clos est une idée qu'il explore à cette époque.

Pourra-t-il retirer quelques enseignements précieux de cette enquête, où il doit comprendre comment on a ouvert la chambre forte de Krupp pour y enfermer une jeune femme et l'y laisser mourir ? Difficile, pour Beth, en particulier, de ne pas voir un avertissement dans ces événements : Houdini veut braver le danger, défier la mort, prendre des risques pour faire le show.

Je n'ai pas encore évoqué Beth, mais bien sûr, elle tient un rôle important aux côtés de son bien-aimée. Alliée, partenaire, elle est aussi celle qui s'inquiète, raisonne l'autre, garde les pieds sur terre. Le danger fait partie de leur existence, car la magie peut s'avérer périlleuse. Mais, avec cette seconde casquette, celle de détective, les voilà amenés à fréquenter une autre forme de danger.

Prendre des risques personnels lors de tours spectaculaires, c'est une chose, se frotter à des truands, des assassins et peut-être pire encore, là, c'est une forme de stress encore plus difficile à digérer. Le couple Houdini est fortement soudé, très amoureux, et ces sentiments sont encore renforcés par les frayeurs qu'ils se font l'un et l'autre. C'est un peu l'amour du risque, mais avec des magiciens à la place des milliardaires, en fait...

J'avais lu le premier tome par curiosité, pour découvrir Houdini dans un rôle inattendu, et j'ai été captivé. Je l'ai encore été avec cette deuxième enquête, polar historique efficace avec une intrigue assez classique, mais qui est sublimée par le contexte et les différents ingrédients évoqués au cours de ce billet.

J'apprécie vraiment la structure et le travail de documentation de Vivianne Perret qui fait que le choix de Houdini n'est pas juste un argument marketing, mais un choix justifié pour une variation originale sur le thème de l'enquêteur amateur. Rendez-vous en octobre pour une nouvelle aventure, que je découvrirai avec le même plaisir que celle-ci.

1 commentaire:

  1. Belle chronique, très détaillée... et avec laquelle je suis tout-à-fait d'accord. Je vais moi aussi suivre cette série avec intérêt.

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