jeudi 22 juin 2017

"Le jeune lieutenant était incroyable. Il ne prononçait pas un mot, n'avait pas de cri de guerre, ne crachait pas d'imprécations. A la place... A la place, il riait (...) Le rire d'un fou furieux".

Lorsqu'on apprécie un personnage, on a envie de le retrouver, de le voir prendre part à de nouvelles aventures, de le voir évoluer sur le plan personnel. Voici un roman qui fait un choix inverse. On connaît les "préquels", au cinéma ou à la télévision, notre roman du jour applique la recette au livre et à la fantasy. Si vous avez lu le diptyque d'Olivier Gay "les Epées de glace" (récemment réédité par Bragelonne et désormais disponible en poche chez Milady), vous connaissez déjà Rekk, mais vous l'avez, comme moi, découvert déjà âgé, un peu rouillé, aspirant à autre chose... Au fil des pages, on évoquait son passé, aussi terrifiant que glorieux, ce passé prend forme dans un nouveau cycle dont le premier volet est paru en grand format chez Bragelonne, "La Main de l'Empereur". Découvrez la genèse d'un personnage qui suscite des émotions très contradictoires chez le lecteur, entre empathie et franche horreur, un guerrier né qui se retrouve piégé dans les arcanes du pouvoir...



Rekk a grandi entre arènes et bordels. Il est en effet le fils illégitimes d'un des plus grands gladiateurs de sa génération, Shar-Tan, et d'Irina, une femme issue de la plus haute société de Musheim, la capitale de l'Empire, épouse d'un riche marchand. Cette mère, Rekk ne l'a vue que quelques fois au cours de son enfance, sans savoir, le plus souvent, qui elle était vraiment.

Voilà pourquoi ce sont des prostituées qui se sont occupées de lui, tandis que son champion de père engrangeait les victoires. De quoi susciter une vocation chez le jeune garçon, qui va, lui aussi, embrasser cette dure profession de gladiateur, qui ne tolère aucune erreur. Et, très vite, il va manifester un talent certain pour le combat.

Aussi, lorsque le destin (et la méchanceté humaine) fait de lui un orphelin, il reprend le flambeau familial et devient à son tour un champion. Non, pas un champion, LE champion, invincible, craint par ses concurrents et adulé par le public. Mais, là encore, la trajectoire de Rekk va être modifiée, et contre son gré.

Eh oui, un champion invincible, c'est mauvais pour les affaires ! Qui voudrait parier contre Rekk, alors que l'on sait qu'il s'imposera ? L'extraordinaire talent de Rekk  pour se battre et tuer est en train de pousser les promoteurs qui gèrent les arènes à la ruine. Alors, événement inédit dans l'histoire de l'Empire, on décide de congédier le champion.

Du jour au lendemain, on interrompt sa fabuleuse carrière, histoire de relancer une activité au bord de la faillite. Déjà qu'il n'y avait plus beaucoup de jeux, voilà que le pain commençait à manquer. Le pain, mais surtout le dispendieux train de vie de ceux qui organisent ces combats. Alors, on coupe le mal à la racine et, puisqu'on ne peut se débarrasser de Rekk à la régulière, on le congédie.

Chômeur, n'ayant plus aucune attache et ne sachant rien faire d'autre que se battre, Rekk se retrouve à la rue. Et découvre que, en dehors des arènes, les raisons de se battre sont nombreuses, vous ne pouvez pas savoir le nombre de malfaisants qui existe, le monde en est plein, mais qu'on ne peut se débarrasser de ce nouveau genre d'adversaire sans en subir des conséquences...

La gloire de Rekk s'éloigne un peu plus chaque jour, il risque de finir derrière les barreaux ou sur une potence... Quand s'ouvre devant lui une porte de sortie inattendue : l'armée. Les troupes impériales recrutent, on prépare une importante campagne militaire outre-mer, visant à conquérir le lointain pays de Koush, si différent de l'empire...

Soudain, c'est comme si Rekk avait changé de planète : il découvre l'armée et sa discipline, enfin, un bout d'armée coloniale en complète déconfiture, qui doit affronter un ennemi sans doute moins fort que lui, mais qui possède un allié de taille : la géographie de Koush. Son climat, ses paysages, cette terre hostile à qui n'y est pas né...

Alors, à la dure, Rekk apprend son nouveau métier de soldat. Il fait ce qu'il sait faire, tuer, bien sûr, mais démontre aussi des qualités de meneur d'hommes et de stratège qui ne vont pas passer inaperçues, même aux yeux des notables coloniaux les plus oisifs et incompétents. C'est dans le bourbier de Koush que Rekk va poser les premières pierre de sa légende, celle du Boucher...

Pour ceux qui ont déjà lu "les Epées de glace", on découvre l'enfance de Rekk, sur laquelle on se savait rien. En particulier cette ascendance et ce statut de bâtard, bien loin de titre de baron qu'il arborera bien des années plus tard. Sans oublier les drames qui vont émailler cette enfance et faire naître en lui cette colère qui le consumera toujours.

Et puis, on plonge dans ces guerres koushites dont on avait entendu parler dans le précédent diptyque, sans en savoir plus que le tournant qu'avait représenté cette campagne militaire, tant pour Rekk lui-même que pour l'Empire. Et, d'une certaine manière, pour nombre de personnages croisés plus tard dans "les Epées de glace".

Pour ceux qui découvre ce cycle, préparez-vous à rencontrer un personnage extraordinaire. Pas vraiment un héros tel qu'on a l'habitude d'en croiser en fantasy ou dans les blockbusters hollywoodiens : si Rekk est sans peur, il est loin d'être sans reproche. Le titre de ce billet, impression d'un personnage voyant le jeune officier dans le feu de l'action, résume parfaitement ce côté inquiétant.

Oui, Rekk a tout d'un psychopathe, c'est une machine à tuer capable de se sortir de batailles à un contre cent. Ce n'est pas Cyrano à la porte de Nesles, mais une espèce de démon ricanant, couvert de sang de la tête au pied, renforçant cette image diabolique, dont l'image reste gravée dans la mémoire des témoins (on pourrait parler de survivants, tant ces guerres sont sanglantes).

Rekk est un monstre, lorsqu'il a une arme à la main. Sa mission est de tuer, alors, il tue. C'est un bon petit soldat, obéissant aux ordres. Croit-il en ce qu'il fait ? Se pose-t-il même la question du bien-fondé de cette campagne koushite ? Cela ne l'effleure même pas, je pense. Peu importe qu'il passe pour un monstre froid et dénué d'affect, peu importe qu'il serve une cause injuste...

Et c'est ainsi qu'on découvre une autre face de Rekk, l'autre revers de la médaille, une facette qui tempère l'impression horrifique qu'on a de lui : c'est un grand naïf. Elevé en vase clos, sans trop savoir comment tournait le monde extérieur aux arènes, Rekk s'est retrouvé livré à lui-même jusqu'à son entrée dans l'armée.

Là, il a obéi, parce que c'est comme ça que ça marche. Il est devenu un brillant combattant et a gravi, au fil des batailles, d'abord des dérouillées puis des succès de plus en plus impressionnants, les échelons de la hiérarchie militaire. Au point de se faire remarquer de l'Empereur, qui va en faire son fer de lance à Koush. Sa main... Un terme qui rappelle la fameuse "Main du roi", dans "le Trône de fer"...

Et c'est ainsi qu'il va se faire piéger, lui, l'homme intègre, qui ne sait pas distinguer le noir du blanc dans l'âme humaine... "La Main de l'Empereur" reprend des codes très classiques de fantasy : la quête, l'apprentissage, l'évolution d'un personnage qui grandit au fil de ses expériences, la guerre, aussi, et puis la politique.

La politique dans sa dimension la plus machiavélique, et dans cette arène-là, Rekk n'arrive pas à la cheville des hommes qu'il va côtoyer, l'Empereur en tête. Manipulé, trahi sans même en avoir conscience, Rekk montre au lecteur une autre partie de sa personnalité qui suscite bien plus d'empathie que son personnage de Boucher.

Et surtout, on va voir le piège se refermer sur lui, inexorablement. Un piège dont la première mâchoire est cette légende qu'il se forge sur le champ de bataille et qui, savamment enjolivée, va faire de lui le monstre dont la simple évocation paralyse le commun des mortels de peur ; et dont la seconde mâchoire est une machination bien plus fourbe encore...

On verra comment cela évoluera dans la suite de ce premier volet, qui devrait faire la jonction entre ce diptyque et "les Epées de glace". On verra sans doute Rekk prendre conscience de certaines choses, perdre ses derniers vestiges d'innocence, déjà bien malmenée par la férocité phénoménale qui le submerge parfois.

Laissons l'histoire de côté, parlons de l'univers d'Olivier Gay. On retrouve ce même mélange d'humour et de cruauté que dans "les Epées de glace", un cocktail réussi qui n'est pas sans rappeler l'esprit des films de cape et d'épée des années 1950-60. Bien sûr, Rekk n'a pas le côté plein d'ironie et de fantaisie des personnages incarnés par Jean Marais ou Gérard Philippe.

C'est un bloc, marqué par une vie difficile, mais surtout, un garçon qui a cruellement manqué d'amour et peine sans doute à intégrer cela. J'ai employé le mot psychopathe, il y a vraiment de cela, tant on se demande parfois ce que ressent ce garçon qui aurait pourtant tout pour être un héros positif... Il aurait fallu un coup de pouce de ce coquin de destin, qui en a décidé autrement.

J'évoque une référence cinématographique pour parler de "la Main de l'Empereur", et ce n'est pas un hasard, car j'ai trouvé que ce roman puisait dans différents genres cinématographiques. Evidemment, on pense à "Spartacus" et "Gladiateur" pour la première partie, mais c'est surtout la partie koushite, avec ses passages entre "Apocalypse Now" et "les Bérets verts", qui m'a marqué.

Cette épopée koushite, entre campagne de colonisation à la romaine et guerre du Vietnam (même si le contexte, jusqu'à ce nom, Koush, fait plutôt penser à un territoire africain), est une erreur, dans sa conception et ses objectifs, un bourbier coûteux en hommes et en moyens pour un Empire qui va vaciller sur ses bases.

Au milieu de cette folie meurtrière, seul Rekk tire son épingle du jeu. Par son extraordinaire combativité et sa folie furieuse. Mais aussi, pour d'autres talents que la légende ne retiendra pas, et en particulier, sa capacité à remobiliser les troupes et à résister aux pires conditions pour renverser la vapeur, ou du moins sauver les meubles.

Rekk est un personnage bien plus complexe que celui que la légende a popularisé, une espèce de croquemitaine sorti du pire des cauchemars, une espèce de Kurtz à la sauce fantasy, pour revenir aux parallèles avec le cinéma. Oui, je l'aime bien, ce gars-là, et je lui causerais poli, aussi, si je tombais dessus, restons prudent. Monstrueux, sans doute l'est-il, mais il est également une victime, et pas uniquement du sort.

La fantasy d'Olivier Gay reste classique dans les thèmes abordés, mais c'est un vrai divertissement, spectaculaire et captivant, emmené par un personnages dont on se souvient, Rekk le Boucher. Je conseillerais même aux lecteurs qui n'ont pas encore lu "les Epées de glace" de lire ce cycle dans l'ordre, quitte à attendre un peu le deuxième volet de "la Main de l'Empereur".

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